• ROSE 163

     

                                       ALBERT TARDIEU

     

    À l'usage, le chat s'avère être une chatte.

    Si nous l'appelions Jeanne, plutôt ? propose Rose.

    Grégoire commence par refuser puis, après mûre réflexion, accepte, à condition qu'on garde le "Tardieu".

    — Va pour Jeanne Tardieu, rit Rose. Et, puisqu'il s'agit de toute une famille, je bois à l'alliance officielle des Tardieu et des Tadros.

    Elle lève son verre de grenadine et trinque avec son fils, qui avale le sien cul sec. Olivier, ne voulant pas être en reste, en fait autant et, bien entendu, s'étrangle.

    Tandis qu'elle lui tapote dans le dos, Amir et Ricco, qui écoutaient les enregistrements, sortent du salon. 

    — Et nous ? On n'a pas droit au goûter ?

    Suffit de demander. Qu'est-ce que tu prends, Ricco ?

    Un café, si possible.

    — Je vais en préparer, s'empresse Amir.

    Depuis le fameux anniversaire, il est métamorphosé. Oh, sa dépression n'est pas guérie, non, ce serait trop beau. Il est toujours sous traitement, mais on sent qu'il reprend peu à peu le dessus. Selon le médecin, en dépit des hauts et des bas — une éprouvante alternance d'euphorie et d'abattement intense —, « il a dépassé la phase critique et son état ne peut que s'améliorer. »

    — C'est hallucinant, ce qu'il a pondu, ton enfoiré de mari,  déclare Ricco en s'asseyant. Comment peut-on tirer des sons pareils d'une simple guitare ?

    Du doigt, il mime une sorte de friselis puis plinc ! comme des bulles qui éclatent.

    — Moi, je trouve ça tout bonnement génial.

    — Génial, génial, tu exagères, se défend Amir, modeste (mais comblé). Et puis, soyons honnête, Lucas y est pour beaucoup.

    Il s'affaire en parlant. Sort la cafetière du placard, prend les filtres sur l'étagère, dose les quantités.

    — J'aimerais que tu fasses sa connaissance : c'est un drôle de loustic. Je suis certain que ça collerait, entre vous. Tu n'as pas envie d'assister au tournage?

    Il commence quand ?

    Fin juin. Le 28 ou 29, par là… Un lundi.

    — Alors, malheureusement, ce sera non : je rentre à Beyrouth le 30, et j'ai une tonne de formalités à régler avant. Le changement de carte grise, entre autres.

    Rose percute au quart de tour.

    — La voiture ? roucoule-t-elle, l'œil en coin.

    — Eh oui, ma belle : chose promise, chose due.

    — Chouette, on va pouvoir emmener les gosses à la campagne ! Qu'est-ce qu'on dit à tonton Ricco, les mômes ?

    Rien. Grégoire, qui pioche goulûment dans le paquet de petits-beurre, n'a — pour une fois —pas suivi la conversation. Quant à son frère, il est très absorbé par l'émiettage systématique des siens sur les jupes de sa mère.

    — Malèch*, s’esclaffe Ricco. Toute bonne action porte en elle-même sa récompense, alors, vos remerciements, hein !

    D'un mouvement désinvolte, il les balance par-dessus son épaule.

    — Confucius, ajoute-t-il à l'attention de Rose, décontenancée. Mon voisin de chambre suit des cours aux langues O*.

    Ah, je me disais aussi.

    Tu ne reviendras pas l'année prochaine, tu en es sûr ?  regrette Amir.

    — Eh non : j'ouvre mon cabinet d'architecture intérieure, à la rentrée.

    — Après seulement un an d'études ? s'étonne Rose. Ce n'est pas un peu peu, ça ?

    — Un an de perfectionnement, nuance. Tu oublies mes trois ans à l'ALBA* et…

    Les borborygmes de la cafetière couvrent la fin de sa phrase.

    — Tu t'installes à Hamra, je suppose ? dit Amir, en éteignant l'engin.

             — Tout juste : mon père a acheté un petit local, à côté de chez Design

    Il tend sa tasse :

    — Merci… Je ne te propose pas de m'accompagner, cette fois : tu as mieux à faire.

    Tu m'étonnes ! Je ne vais pas chômer, dans les mois à venir.

    — Maintenant, notre vie est ici, dit doucement Rose. On a une maison, du boulot, des amis…

    — Un ssat ! ajoute Grégoire, en postillonnant du biscuit.

    — Ne parle pas la bouche pleine, voyons, s'indigne Amir.

    Rose sourit, rêveuse.

    — Un chat… et peut-être un jour un chien, qui sait ? Pour remplacer notre Julie.

    Oh oui, un ssien ! applaudit Grégoire.

    Un ssien ! approuve Olivier en écho.

    D'un geste solennel, Ricco repose sa tasse.

    — Vous voulez un chien ? J'en ai un dans ma manche.

    — Après la voiture, le chien, s'esclaffe Amir. T'as raté ta vocation de père Noël, toi !

    De magicien, plutôt, corrige Rose.

    — Sérieusement, il y en a un qui traîne, depuis des semaines, dans les jardins de la cité U. Une espèce de bâtard court sur pattes qui ne doit plus être bien jeune, vu sa dégaine… Les étudiants lui filent à bouffer, mais à mon avis, il préférerait de vrais maîtres.

    — C'est tout à fait ce qu'il nous faut, dit Rose. Qu'en penses-tu, Amir ?

    L’intéressé a un geste fataliste.

    — Que veux-tu que je te dise, habibté ? Où que tu ailles, tu reconstitueras toujours ta tribu, même sur la Lune !

     

    C'est ainsi qu'Albert Tardieu est entré dans la famille.

     

     

    *ALBA : Académie Libanaise   des

    Beaux- Arts

    * Les langues O : L’école des langues orientales

     

     

     

     

                                                               FIN

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 12 Juin 2014 à 00:06
    Annie GH
    Fidèle à la tradition des livres d'enfant, un happy end pour tout le monde !!! Mais est-ce un livre pour enfants ?
    2
    Jeudi 12 Juin 2014 à 00:07
    Annie GH
    je suis angoissée à l'idée du vide qui va suivre… Gudule, que nous prépares-tu pour combler ce manque que j'anticipe déjà ?
    3
    Jeudi 12 Juin 2014 à 01:31
    Castor tillon
    Albert Tardieu, pour un chien, c'est limite. Albert Géallemand aurait mieux convenu. Je trouve.
    4
    Jeudi 12 Juin 2014 à 01:33
    Castor tillon
    Annie, ne t'inquiète pas : Gudule a plus d'un tard dans son souk.
    5
    Jeudi 12 Juin 2014 à 05:31
    Tororo
    Ça fait tout bizarre de lire FIN. A côté de ça, lire que Jean Tardieu est une chatte et que le chien s'appelle Albert ça paraît presque pas bizarre.
    6
    Jeudi 12 Juin 2014 à 06:55
    Gudule
    @ Annie : Bof, c'est un livre, tout simplement, et qui plus est, d'inspiration autobio. Je ne fais pas réellement la différence entre les livres destinés à la jeunesse et les autres.
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    7
    Jeudi 12 Juin 2014 à 07:00
    Gudule
    @ VOUS TOUS QUI ME LISEZ CHAQUE JOUR : À PARTIR DE DEMAIN,LES AVENTURES DE ROSE SERONT REMPLACÉES PAR DE NOUVEAUX "GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE". JE SUIS, EN EFFET, EN TRAIN DE TRAVAILLER SUR LE DEUXIÈME TOME, DONT VOUS AUREZ QUELQUES EXTRAITS EN AVANT-PREMIÈRE.
    8
    Jeudi 12 Juin 2014 à 12:19
    Annie GH
    Ahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
    9
    Jeudi 12 Juin 2014 à 12:20
    Annie GH
    Pas d'inquiétude ! Juste une petite crise de Parkinson…
    10
    Jeudi 12 Juin 2014 à 14:56
    Castor tillon
    Rassure-toi, Annie, ce n'est pas la Parkinson. Sinon ça serait comme ça :
    AhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHhHh !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
    11
    Jeudi 12 Juin 2014 à 21:43
    Annie GH
    Merciiii! Docteurrrrrrr !!!!
    12
    Vendredi 13 Juin 2014 à 07:08
    Gudule
    C'était un diagnostique castorien !
    13
    Mercredi 16 Juillet 2014 à 12:30
    Pata
    Ben c'est presque un happy-end dis donc !!!

    J'aime cette fin, en forme d'accalmie musicale et familiale ^^
    14
    Mercredi 16 Juillet 2014 à 20:32
    Castor tillon
    Il n'y a jamais de fin aux méfaits des gaffeuses.
    15
    Mercredi 16 Juillet 2014 à 22:01
    Gudule
    Défaitiste !
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