• ROSE 153

     

     

     

                                                      LE CRI

     

    La rue de la Goutte d'or est encore plus sinistre la nuit que le jour. Une bruine légère sature l'atmosphère, posant une sorte de fine couche grasse sur les pavés. Dans le halo blafard des lampadaires grouille un mouchetis de gouttelettes. Se découpant sur le ciel d'un noir sale, la silhouette massive de l’H.L.M. semble un molosse géant, tapi, prêt à bondir.

    « Comme réconfort, c'est réussi, pense Rose. Faut vraiment être débile pour trimbaler un dépressif dans ce décor de cauchemar ! »

    Elle se giflerait bien, tiens ! Mais bon, le mal est fait.

             — On va jusqu'au parc ? propose-t-elle, à tout hasard.

             Amir la suit, docile. N'ayant, sans doute, même plus la force de la contrarier.

             La lugubre promenade est si éprouvante que Rose se dit : « Je donnerais bien dix ans de ma vie pour être ailleurs ! » Elle n'a pas le souvenir, au cours de son existence, d'avoir traversé de période aussi sombre. Ni en Belgique, ni au Liban — surtout pas au Liban !

             Jamais ils n'auraient dû venir en France. Jamais.

             Elle soupire. Rabâcher ne sert à rien, il faut po-si-ti-ver.

    — On va s'en sortir, tu verras. D'ailleurs, moi, je commence à m'habituer. Finalement, c'est très cool, Aubervilliers.  Et plein de gens charmants.

    Amir lui lance un regard aigu :

    Tu as rencontré quelqu'un ?

    Pourquoi tu dis ça ?

    — Je croyais que tu détestais cet endroit… Pourquoi as-tu changé d'avis ? Tu as fait la connaissance d'un autre mec, n’est-ce pas ? Je le savais. Je l'avais pressenti. Rien de bon ne pouvait sortir de ce troquet de merde.

    Tu arrêtes tes conneries ou je me fâche pour de bon ?

    Elle a haussé le ton. Dans le silence nocturne, sa voix ténue résonne comme un tonnerre de Brest

    Un cri à vous glacer les sangs lui fait écho. D'où vient-il ? Du parc ? De l’HLM ? De l'une des maisons aux fenêtres murées ? De ces hangars déserts où tout peut arriver, un viol, un crime, ou pire ?

    Saisis d'une même trouille, Amir et Rose se regardent. S'attrapent par la main. Et partent en courant, talonnés par la peur.

    Ils parviennent chez eux hors d'haleine. Avec le sentiment de l'avoir échappé belle.

    Conclusion d'Amir :

    — Tu vois, Rose, ce hurlement qu'on a entendu… Eh bien, c'est le même, exactement, que celui que j'ai dans la tête vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 2 Juin 2014 à 00:25
    Annie GH
    Le cri… Terrible ce cri dans la tête… Effectivement, comment Amir peut-il composer de la musique avec un cri dans la tête…
    2
    Lundi 2 Juin 2014 à 01:16
    Castor tillon
    Argh.

    Sur ce coup-là, le crieur (petit joueur, va) de Munch va en perdre son string.

    Bon, je vais me mettre un film de Dracula pour me changer les idées. Gudule, elle est terrible, quand elle s'y met.
    3
    Lundi 2 Juin 2014 à 04:30
    Gudule
    @ Annie : A moins de composer une musique qe film d'horreur...
    @ Castor :
    4
    Lundi 2 Juin 2014 à 04:54
    Castor tillon
    Ben voilà : quand on s'adresse au Castor, c'est pour ne rien lui dire. Pauvre petit moi.
    @ Gudule : ♥♥♥
    5
    Mardi 15 Juillet 2014 à 09:11
    Pata
    Ah ? Peut-être que ce cri dans la nuit va servir d'exorcisme à Amir ?

    Souhaitons-le du moins !!
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