• ROSE 152

     

    PROMENADE NOCTURNE

     

    Hélas, la création demande un minimum d'entrain. Or, du fait de sa maladie — dont c'est justement la caractéristique —, Amir en est, pour l'heure, totalement dépourvu. Dès lors, bien qu'ayant apprécié à sa juste valeur le spectacle des Clounes, il "sèche". Et au bout de trois jours d'essais infructueux, déclare :

    Je renonce.     

    — QUOI ? bondit Rose. Tu n'es pas sérieux, là ? Tu laisserais passer une occasion pareille ?

    En ce moment, je suis incapable d'aligner trois notes.

    Il a la voix qui tremble, en disant ça.

    Navrée par ce poignant constat, Rose hésite entre le plaindre et le secouer. Puis elle se dit que ces deux attitudes sont aussi infantilisantes l'une que l'autre — donc indignes de l'amour qu'elle lui porte — et opte pour une troisième : le défi.

    — À toi de décider, hein, lance-t-elle. Moi, je veux bien rester serveuse jusqu'à la fin de mes jours !

    Résultat des courses : non seulement Amir ne crée pas, mais il s'enfonce encore un peu plus dans son mal-être.

     

     

     

                                                        *

     

    Une nuit :

    Amir ?

    Ça va ?

    Rose se redresse sur le coude. Un filet de lune, pénétrant entre les rideaux disjoints, dessine le profil de son mari, à ses côtés, dans l'ombre. On dirait un gisant de marbre. Allongé sur le dos, les bras le long du corps et les yeux grand ouverts, il fixe un point très loin, droit devant lui.

    Amir, insiste-t-elle. Amir, réponds-moi !

    Il tourne la tête vers elle. Ses yeux brillent étrangement.

    Tu pleures ?

    Depuis quelques temps, il ne fait plus que ça, pleurer. Elle l'enveloppe dans ses bras, le berce.

    — Qu'as-tu, mon amour ? Pourquoi ne dors-tu pas ? Il est au moins deux heures du mat' !

             Et lui, dans un souffle :

    Je ne te mérite pas.

    C'est quoi, ce nouveau délire ?

    — Ce n'est pas un délire, c'est la vérité. Tu devrais me quitter, refaire ta vie ailleurs.

    Elle allume la lampe de chevet ; il est pâle à faire peur.

                — Tu veux qu'on parle, Amir ? Tu as quelque chose de spécial à me dire ?

    Pas de réponse. Il a repris sa pose de gisant muet. Littéralement muré dans sa souffrance.

    Euh… On va faire un tour ?

    L'entraîner dehors, c'est tout ce qu'elle a trouvé pour le pousser à bouger. À quitter cette immobilité de statue qui la transit.

             Elle le prend par la main, le tire du lit. L'oblige à s'habiller :

    — Allez ! Ton pantalon… Ton pull, maintenant ;  tes chaussettes.

    Il obéit en automate.

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 1er Juin 2014 à 20:05
    Mêo
    Y a personne qui ose rien dire...
    C'est tellement bien écrit/raconté qu'on a l'impression d'assister à la scène. Alors on se sent impuissant à aider et on se fait tout petit.
    2
    Dimanche 1er Juin 2014 à 22:04
    Annie GH
    Difficile d'aider un dépressif… Rose n'abdique pas et elle a raison… mais il lui en faut de la force et de l'amour pour remobiliser l'énergie qui a déserté Amir !!!
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    3
    Dimanche 1er Juin 2014 à 22:10
    Gudule
    Ah, ça, porter un dépressif à bout de bras, c'est pas une partie de plaisir !
    4
    Mardi 15 Juillet 2014 à 09:09
    Pata
    La dépression... Cette faiblesse noire qui envahit tout.

    A mon sens, il n'y a qu'une grosse secousse émotionnelle qui puisse sortir de cette torpeur, un peu comme ces électrochocs qu'on administre pour ramener la vie dans un être déserté par elle.
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