• ROSE 149

     

                                                BÉCHIR

     

    Finalement, le nouvel arrangement convient fort bien à Rose : pendant qu'elle recopie le mémoire de Dino, Amir endosse le rôle d'homme-au-foyer. C'est lui qui conduit Grégoire à l'école — où il fait, à son tour, connaissance de Lili —, promène Olivier, s'occupe des courses et des repas, bref la décharge de toutes les corvées ménagères qui la freinaient dans son travail. De sorte qu'elle vient à bout du manuscrit en un temps record — c'est-à-dire un peu plus d'un mois.

    Dino Fumetti s'estime satisfait, lui signale deux ou trois coquilles qu'elle corrige illico presto, et la paie rubis sur l'ongle.

    — Avez-vous encore besoin de mes services ? s'informe-t-elle, pleine d'espoir.

    Malheureusement, non. Il a mis cinq ans pour écrire ce texte, alors,  dans cinq autres années, peut-être ?

    Voilà donc Rose à nouveau sans boulot.

    — J'ai peut-être une maman d'élève qui cherche une nourrice pour son bébé, lui dit Lili. Ce serait dans tes cordes, ça, non ?

    Ce serait. Et même dans ses goûts.

    Hélas, renseignements pris, la nourrice est trouvée.

    — Mets une petite annonce chez les commerçants, lui recommande Lili. En général, ça marche.

    Rose s'empresse de suivre ce judicieux conseil. Mère de famille sérieuse garderait enfants n'importe quel âge, inscrit-elle, suivi de son numéro de téléphone, sur une demi-douzaine de feuilles volantes qui trouvent aussitôt place à la vitrine des Bons Amis, de la boulangerie, de l'épicerie, du pressing, ainsi que sur le panneau d'affichage de la superette.

    Il ne reste plus qu'à attendre.

     

    Un événement inattendu va mettre un terme prématuré à cette attente. Deux jours plus tard, en allant aux nouvelles chez Mme Irène, Rose trouve le troquet fermé. Ce qui l'étonne grandement car c'est un mercredi.

    Elle repasse en cours de journée, toujours fermé.

    Le lendemain, pareil.

    Enfin, le surlendemain, une Mme Irène effondrée rouvre l'établissement. Béchir a eu un infarctus.

    Il n'est pas… ? s'étrangle Rose.

           — Non, mais c'est tout comme : il restera paralysé du côté gauche.

    Mon Dieu ! Qu'allez-vous faire ?

    Ça, Mme Irène n'en a pas la moindre idée.  Pour l'heure, elle se lamente :

    — Avec tout qu'ils lui ont fait subir, ces maudits tortionnaires, il avait le cœur fragile, obligé.

    — Je comprends, dit Rose. Mais… il est encore en vie, n'est-ce pas ? C'est le plus important .

    Mme Irène acquiesce avec ferveur.

    — Mon pauvre Béchir qui a tellement horreur des hôpitaux  ! Il me réclame sans arrêt, mais comment voulez-vous que je fasse ? Je ne peux pas me couper en deux. Et si je laisse le bistrot aller à vau l'eau, on court tout droit à la faillite.

    — Euh… Je pourrais peut-être vous remplacer jusqu'à ce qu'il aille mieux ? propose Rose.

    C'est sorti tout seul, sans préméditation aucune. L'un de ces élans spontanés dont elle est coutumière, et qui, par le passé, lui ont joué tant de mauvais tours.

    Vous feriez ça pour moi ? s'éclaire Mme Irène.

    — Ben… oui. Il suffit que vous m'indiquiez le prix des consommations, et…

    — Oh, merci, ma petite ! Merci ! Vous pourriez commencer tout de suite ?

    Pourquoi pas ? Je cours prévenir Amir et je reviens.

    La réaction de ce dernier n'est pas du tout, du tout celle que Rose attendait.

    Quoi ? Toi, serveuse dans un bar malfamé ? Pas question !

    — Et d'un, ce n'est pas un bar malfamé. Et de deux, je ne suis pas "serveuse", je dépanne une copine qui a des ennuis, nuance. La solidarité, ça existe, figure-toi. Et de trois, je te signale que toi, t'as fait la manche : ce n'est pas mieux.

    Là, t'es gonflée. Tu oublies que c'est toi qui m'y as poussé ?

    Preuve que j'ai bien moins de préjugés que toi.

    La discussion tourne au dialogue de sourds, et pendant ce temps-là, Mme Irène poireaute.

    On en reparlera ce soir, tranche Rose, plantant là son mari et son fils.

     

     

        *

     

    — Le tarif des boissons est marqué ici, explique Mme Irène. Les horaires d'ouverture et de fermeture sont sur la porte, mais je serai rentrée avant. Vous avez bien compris comment fonctionne la caisse enregistreuse ?

    Oui, oui, vous pouvez partir tranquille.

    — La clé de la réserve est dans le tiroir, au cas où. Et voici le numéro de l'hôpital. Si vous avez le moindre souci, n'hésitez pas à me sonner.

    Rose est presque obligée de la pousser dehors.

    — Ne vous en faites pas, je m'en sortirai très bien. Allez, sauvez-vous vite ! Et embrassez Béchir pour moi.

    Je n'y manquerai pas.

    « Bon, pense Rose, sitôt qu'elle se retrouve derrière le comptoir. Maintenant, ma cocotte, il s'agit d'assurer. »

    Ça, c'est une autre paire de manches !

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 29 Mai 2014 à 01:18
    Annie GH
    ça alors, pour un rebondisssement ! Rose en bistrotière !!! je me régale d'avance…
    2
    Mercredi 4 Juin 2014 à 06:16
    Jeanne-a Debats
    c'est normal mal famé en un mot ?
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    3
    Mercredi 4 Juin 2014 à 06:33
    Gudule
    Ben voui : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/malfam%C3%A9/48879?q=malfam%C3%A9#48790
    4
    Mercredi 4 Juin 2014 à 06:51
    Jeanne-a Debats
    ah ben chouette, j'aurais appris deux trucs : malfamé et flandrin ce matin :)
    (je traite de grand flandrin à longueur de temps sans m'être jamais interrogée sur le sens^^)
    5
    Mercredi 4 Juin 2014 à 07:06
    Gudule
    Coucou, Jeanne ! Contente de te voir dans les parages !
    6
    Mercredi 4 Juin 2014 à 07:09
    Jeanne-a Debats
    je suis jamais bien loin, j'adore Rose :) (mais j'avoue que les festivals rendent parfois le suivi de mon feuilleton préféré du net un pneu aléatoire ^^)
    7
    Mercredi 4 Juin 2014 à 09:42
    Gudule
    Oooooh !
    8
    Mercredi 4 Juin 2014 à 09:45
    Gudule
    Au moins, avec un pneu aléatoire, on ne se dégonfle pas !:-)
    9
    Mardi 15 Juillet 2014 à 08:55
    Pata
    Hé, hé, elle lui va bien, cette reconversion à Rose !
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