• ROSE 141

     

     

                                         RICCO

     

    La nouvelle tombe comme un OVNI dans leur marasme : Ricco débarque à Paris, début octobre. Il s'est inscrit aux Beaux-Arts, en architecture intérieure, et  loue une piaule à la Cité U*.

    Rose, avertie par lettre, attend fébrilement le retour de son mari pour le lui annoncer. À défaut, elle en parle à Mme Irène.

    — Formidable, applaudit cette dernière. Au fait, ajoute-t-elle avec embarras, je me suis renseignée pour la fête de l'Huma : question spectacles, ils sont complets.

    Je m'en doutais, dit Rose, qui n'en est plus à un plan foireux près.

    — Amir peut toujours faire la manche dans l'enceinte, mais il devra payer son entrée.

    Cher ?

    Soixante-dix francs pour les deux jours.

    Nous, on bouffe une semaine, avec ça.

    Chapitre clos.

    Par chance, aujourd'hui, rien ne peut entamer la bonne humeur de Rose. La venue de Ricco va tout changer pour eux, elle en est sûre. Sa force, sa sérénité, sa bienveillance — elle ne dit pas « son fric », non, elle ne le dit pas, mais le pense peut-être inconsciemment — vont redonner le goût de vivre à Amir.

    Dieu ! qu'elle a hâte de lui annoncer la grande nouvelle !

     

    Huit heures.

    Neuf heures.

    Dix.

    Onze.

    L'irritation de Rose prend peu à peu le pas sur son impatience.

    « Ça recommence comme l'autre fois. Il est chiant, ce mec ! S'il s'est encore bourré la gueule, il va m'entendre. »

    Minuit. Une heure. À force d'attendre, elle finit par s'endormir tout habillée. C'est une présence furtive qui la réveille, au petit matin.

    Amir ? D'où tu viens ?

    Du commissariat.

    QUOI ?!

    J'ai passé la nuit au poste.

    Et de lui narrer sa mésaventure : la veille au soir, une échauffourée a éclaté dans le métro. Un Black qui tentait de truander s'est fait molester par le poinçonneur.

    — Il tenait de ces propos racistes, l'enfoiré ! Alors, nous, forcément, on est intervenus.

    Qui ça, "nous" ?

    Tu sais, les étudiants qui avaient tant aimé ta chanson.

    Tu es resté en contact avec eux ?

    — Forcément : leur Fac est sur ma ligne. Donc, on a gueulé, ça s'est envenimé, et le chef de station a appelé les flics qui nous ont embarqués….

    La vaaache !

    — Comme tu dis.  Le problème, c'est que maintenant, je suis fiché. Ce n'est pas très bon, pour un étranger. Le commissaire m'a prévenu : à la prochaine incartade, je suis viré de France.

    — Tu veux dire… qu'on sera obligés de retourner au Liban ?

    Elle ne l'a pas dit, elle l'a crié. Un cri de joie.

    — Plutôt crever ! rétorque Amir, les dent serrées. Les humiliations, j'en ai jusque là, figure-toi.

    Où on ira, alors ?

    La réplique sort comme un crachat :

    Chez tes parents.

    Rose retient juste à temps une réplique bien sentie, du genre : « Ce coup-là, mon pote, on ne me le fait pas deux fois » et, raisonnablement, se dit : « Évitons la dispute ; à cran comme nous le sommes, on sait où ça commence mais pas où ça s'arrête. »

    — Ricco arrive dans trois semaines, susurre-t-elle, histoire de détourner le cours de la conversation.

    Réaction imprévue autant qu'imprévisible : Amir fond en larmes.

    — Dors, dit Rose, mettant cette extrême sensibilité sur le compte de la fatigue. Tu n'en peux plus.

    Ce qu'elle ignore, c'est que ce sont les premiers symptômes d'une dépression nerveuse qui va s'accentuer de manière alarmante durant les mois à venir.

    Dans l'immédiat, l'ayant aidé à se déshabiller, bordé, mouché et embrassé, elle s'éloigne sur la pointe des pieds.

    Il est cinq heures.

    Paris s'éveille.

     

                                               

                                       * Cité U : cité universitaire de la porte d'Orléans

                                               

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 22 Mai 2014 à 00:16
    Annie GH
    Rose se révèle forte dans son couple…
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    2
    Vendredi 23 Mai 2014 à 10:52
    Annie GH
    C'est ce que je remarque souvent chez les femmes : leur courage dans les moments durs est discret mais tenace et continu… Au fait je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué : cela a même fait l'objet d'études comparatives en sociologie…
    3
    Dimanche 13 Juillet 2014 à 15:53
    Pata
    Ben moi j'ai réussi à y entrer sans payer à la fête de l'huma...

    Faut dire, c'était le dernier soir, le nombre de bracelets jaunes au sol -oh sésame !- m'a perdu d'en ramasser un et de profiter des derniers concert et surtout, des derniers fêtards restés sur les lieux, donnant naissance à un des plus beau souvenir de ma vie ^^
    4
    Dimanche 13 Juillet 2014 à 19:09
    Annie GH
    Pata ! Hum ! Tu nous appâtes !!! Des détails ! Des détails !
    5
    Mardi 15 Juillet 2014 à 08:36
    Pata
    Ben, une fois sur place, j'ai perdu mes potes mais les gens étaient si ouverts et déjà "ambiancés" que je n'ai eu aucun mal à me retrouver en tête d'une foule de joyeux zozos, escaladant les grillages et les barrières pour vider les restes dans les frigos des associations.

    Je te passe les fous rires qu'on a pu se taper, accrochés aux barrières et "volant" ce qui n'appartenait déjà plus à personne :)

    On y a trouvé plein d'alcools, de chocolats, chips et autres carburants et on s'est réunis sur la grande scène, tandis que tout autour de nous se déconstruisait...

    Jouer, courir et chanter sur ce grand espace, ou nos pas résonnaient dans cette ambiance de fin d'un micro monde : c'était vraiment une sensation géniale et une chouette occasion de se sentir vivante !

    Quand les grues ont eu atteint "notre" scène, on s'est rapatriés dans la loge de Jean Louis Aubert, où on a siroté son champagne et mangé ses cookies en devisant jusqu'à petit matin.

    J'ai retrouvé un à un mes amis ensuite, avec qui on a quitté la fête sous les acclamations de parfaits inconnus -pour eux- (ce qui a fait son petit effet auprès des dits potes ^^)

    Je crois que c'est là que j'ai vraiment pris conscience que moi aussi, je savais séduire et plaire à une foule !

    Et que ça p't'être joué sur ma personnalité d'aujourd'hui ^^
    6
    Mardi 15 Juillet 2014 à 13:05
    Annie GH
    Une sacrée fête, Pata !!!
    7
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:25
    Gudule
    Bah, elle fait ce qu'elle peut, quoi. Comme tout le monde !
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