• ROSE 137

     

     

                                       LA MANCHE

     

    Un chanteur de folk gratte sa guitare, dans le métro. Rose l'observe, songeuse.

    Amir ?

    Mmmm…

    Tu penses la même chose que moi ?

    Ils se regardent, se comprennent sans parler.

    Ça va pas, la tête ? proteste Amir.

    Ayant fini sa prestation, le gars passe parmi la foule. Rose fouille dans son sac, en sort une pièce qu'elle lui tend.

    — C'était très bien.

    Il remercie d'un clignement de paupières avant de poursuivre sa quête. Rose le suit des yeux jusqu'à la station suivante, où il descend.

    Sept, annonce-t-elle.

    Mimique d'incompréhension d'Amir.

    — Il y a sept personne qui lui ont donné des sous, explique-t-elle. Un franc en moyenne. C'est-à-dire qu'il a gagné sept francs, minimum. Pour combien ? dix minutes de boulot, même pas. T'en connais beaucoup, toi, des jobs payés un franc la minute ?

    La mimique se mue en grimace d'agacement.

    — Tu as de ces idées, toi, parfois. Tu m'imagines en train de faire la manche, sans blague ?

    — Ben quoi, ce n'est pas honteux. Les ménestrels gagnaient leur croûte de cette façon, je te signale. Les bateleurs aussi. Et même Édith Piaf : avant de devenir une grosse vedette, elle chantait dans les rues.

    Elle mendiait, quoi ! 

    — Soixante balles de l'heure, c'est un bon salaire pour un mendiant, je trouve.

    Bref, elle n'en démord pas. Lui non plus. Mais au bout de quelques jours :

    — Finalement, le métro, est-ce vraiment plus humiliant que les supermarchés ? interroge Amir à brûle-pourpoint.

    — Notre situation est si catastrophique ? comprend Rose.

    — Pire que ça. Je viens de passer à la banque, on est en débit. Et le banquier m'a prévenu : si je ne comble par le trou d'ici la fin du mois, je suis interdit de chéquier.

    Meeerde… Combien t'a rapporté la tournée ?

    — Que dalle : j'ai déjà tout dépensé. En plus, en tant qu'étrangers, on n'a droit à aucune aide, je me suis renseigné.

    — Bon, dit Rose. Faut que je trouve du travail.

    Comment feras-tu avec les gosses ?

    Je bosserai à la maison, tiens. Comme à Beyrouth.

    Soupir incrédule d'Amir :

    — En attendant, moi, je sais ce qu'il me reste à faire…

    Il empoigne sa guitare et se dirige vers la porte.

    — Eeeeh, où tu vas ?

    Dans le métro.

    Là, tout de  suite ?

    Ouais, avant que je me dégonfle.

    Rose ne dit plus rien. Le regarde s'éloigner, le dos voûté (sous le poids de sa désillusion, peut-être ?), puis, stimulée par cet acte d'héroïsme, elle plonge dans le Bottin et repère les numéros des principaux journaux.

    Allo ? Je voudrais parler au rédacteur en chef.

     À quel propos ?

    — J'ai été  journaliste pendant trois ans, au Liban et je cherche un poste de pigiste. Je peux vous montrer mes articles, si vous voulez.        Les standardistes lui rient au nez et, devant son obstination, lui conseillent  d'envoyer un C.V. agrémenté de quelques photocopies.

    Ce qu'elle s'empresse de faire.

    Trente, elle va en expédier.

    Pour ne recevoir, dans les semaines qui suivent, que deux réponses : « Nos effectifs sont au complet » et « Bien que nos effectifs soient au complet, nous prenons acte de votre candidature et ne manquerons pas de vous recontacter le cas échéant ».

    En attendant cet aléatoire appel, elle continue son livre, à défaut de mieux. Mais l’inspiration laisse à désirer.  

    Quant à Amir, son nouveau statut le déprime au-delà de tout.

    T'as chanté quoi ? lui a demandé Rose le premier soir.

    Les Beatles.

    Ça doit marcher, ça, non ?

    Sans un mot, il a vidé ses poches. Trente-sept francs quatre-vingt treize, en menue monnaie.

    Depuis, c'est sa moyenne. Entre trente et soixante, les jours fastes. Juste de quoi survivre…

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 17 Mai 2014 à 00:12
    Mêo
    La bohème ♫♪♪♪ la bohème ♫♪♪♪
    2
    Samedi 17 Mai 2014 à 00:14
    Mêo
    Il parait que maintenant dans le métro il faut passer une audition pour avoir le droit d'y jouer.
    3
    Samedi 17 Mai 2014 à 10:20
    Mêo
    Tiens, je viens de trouver une info à ce propos.
    http://www.20minutes.fr/societe/1240227-20131022-musiciens-metro-cest-popstars-ici
    4
    Samedi 17 Mai 2014 à 18:01
    Annie GH
    Les vaches maigres… avec les p'tits boulots et les concerts de rue… à cette époque, c'était quasiment un passage obligé pour tous les artistes !!!
    5
    Samedi 17 Mai 2014 à 18:03
    Annie GH
    Mêo a raison; maintenant pour jouer dans le métro y'a un "concours d'entrée" !!! Mais, sans doute Mêo le sait-elle, il y a aussi tous les ans un concours de poésie avec affichage dans les rames de métro… moi, je trouvais ça bien…
    6
    Vendredi 11 Juillet 2014 à 20:05
    Pata
    J'aime beaucoup ce chapitre, et cette voie qu'à trouvé Amir pour exploiter la sienne, de voix !

    Oui, la bohème :)))
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    7
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:25
    Gudule
    Sans blague ?! Tu me fais marcher, là !
    8
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:25
    Gudule
    Nom d'un chien, quelle époque ! En tout cas, merci pour l'info (même déprimante)
    9
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:25
    Gudule
    Ceux qui ont besoin de ça pour bouffer se retrouvent donc soumis au bon vouloir d'un jury au ventre bien plein. OK. Bientôt, faudra un CAP pour avoir le droit de mendier.
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