• ROSE 118

     

     

    PROMENADE MATINALE

     

    Tradition oblige : c'est le chant du coq qui réveille Rose. Elle s'étire et ronronne, sensible à l'allégresse que suscite ce bruit en elle — si intimement lié à la joie des vacances que, toute sa vie durant, elle jubilera d'instinct au moindre cocorico.

    Avec la délicatesse qui la caractérise, sa tante lui a attribué la chambre de son enfance : celle aux images pieuses. L'oncle Paul, très croyant, y avait accroché les souvenirs de baptêmes, communions, mariages et autres cérémonies religieuses, couvrant le papier peint d'une myriade de petits cadres. De sorte que la fillette dormait sous les regards de multiples Jésus, anges, Vierges Marie, ce qui la rassurait car elle était peureuse et sujette aux cauchemars.

    Des yeux, elle parcourt les chromos familiers, s'attendrit de leur naïveté. Y repère des détails oubliés, telle cette pauvresse, tendant la main sur le parvis de l'église d'où sort une procession de jolies communiantes qui ne lui accordent même pas l'aumône d'un sourire. Ou ce vieux chien suivant, tête basse, l'ivrogne auquel un prêtre en surplis blanc montre les feux de l'enfer afin de lui inculquer la tempérance.

    — Bonjour le discours réac, rigole-t-elle.

    Elle saute sur ses pieds, ouvre les volets. Sous les rayons pourpres de l'aurore, la campagne resplendit.

    — Faut que je montre ça à mes loupiots.

    Mais ils ronflent à poings fermés dans la chambre voisine. Ainsi que leur tante, d'ailleurs.

    — Ils ont dû faire la foire jusqu'à pas d'heure, suppose Rose, amusée. À moins que ce ne soit le grand air qui les assomme.

    Sur la pointe des pieds, elle gagne la cuisine. Se taille, dans la miche entamée la veille, une tranche "comme un drap de lit" (dixit Ida, dont les expressions ne sont pas moins colorées que celles de sa sœur), la badigeonne de beurre frais et sort. Puis, portée par le jeu des réminiscences, elle se rend sous la fenêtre d'Etienne et crie :

    — Étieeeenne ! Tu viens jouer ?

    — Sans blague ? se marre-t-il. Attends-moi, je descends.

    Trente seconde plus tard, il la rejoint, en ayant pris soin de se munir, lui aussi, d'une tartine. Mais sur la sienne, il y a de la confiture de rhubarbe faite maison. 

    La balade qui s'ensuit n'est qu'une succession d'éclats de rire.

    — Ça me fait un bien fou d'être ici, avoue Rose, en s'asseyant sur le talus d'où l'on domine le village.

    Son compagnon acquiesce gravement. 

    — Et à moi, donc ! Je n'arrive pas à y croire.

    — Dommage que mon mari ne puisse pas en profiter, s'empresse-t-elle d'ajouter.

    — Oui, dommage. J'aurais aimé le connaître.

    — Oh, ça viendra, rassure-toi. Un de ces quatre, il va débarquer.

    Elle consulte sa montre.

    — Houlà, déjà neuf heures ? Faut que je m'occupe de mes mômes, moi.

    — Et moi, je dois filer à l'univ'

    — Tu fais quoi, comme études ?

    — Médecine. Je suis en troisième année.

    — Tu ne tues plus les petits oiseaux, alors ?

    — Non, je soigne les gens…

    En voilà une nouvelle qu'elle est bonne !

     

     

     

    *

    Plus tard :

    — Tu es au courant de ce qui se passe ?

    Regard interrogatif de Rose.

    — Non, quoi ?

    — Il y a encore eu du grabuge, à Paris.

    — Ah ?

    — De Gaulle a fait fermer la fac de Nanterre, sous prétexte que c'était "un repaire de dissidents". Les étudiants sont furieux, ils s'en sont pris aux forces de l'ordre. Il y a eu des arrestations. On prévoit des manifs de soutien toute la journée.

    — Tu suis l'actualité de près, toi, dis donc !

    — Assez, oui. Tu n'es pas inquiète pour ton mari ?

    — Oh, lui, tu sais, la politique… En plus, il ne met pas le nez dehors : ils préparent leur tournée.

    Etienne hoche sentencieusement la tête :

    — Moi, si je vivais sur place, je serais au cœur de l'action.

    — Qu'est-ce qui t'en empêche ? On n'est qu'à trois cents bornes.

    Il rit.

    — Oui, mais toi, tu es ici, et maintenant que je te tiens, je ne te lâche plus. Ça suffit les chassé-croisé !

    Rose joint son rire au sien.

                 — T'as pas encore compris que j'étais insaisissable ?

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  • Commentaires

    1
    Lundi 28 Avril 2014 à 11:38
    Annie GH
    La dernière phrase écrite en petits caractères "T'as pas encore compris que j'étais insaisissable ?"… Soit c'est l'ordinateur qu'a un peu buggé, soit Rose ne l'a pas vraiment dit, ou seulement murmuré, les deux hypothèses n'étant pas exclusives l'une de l'autre comme on dit chez les scientifiques… Et je pencherais d'ailleurs pour cela: après tout, certains bugs, c'est quasiment le retour du refoulé, pourraient dire les psy de tout poil… … J'ignore ce qu'en diraient les structuralistes qui, à l'époque, avaient pignon sur rue… Bon, j'arrête l'inventaire…
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    2
    Lundi 28 Avril 2014 à 14:44
    Gudule
    Nan nan, c'est over-blog qui a déconné, comme d'hab'. Premièrement, le tiret de dialogue a sauté, et deuzio, ça m'a changé le corps de la dernière phrase. Et impossible d'arranger le truc. Si je m'écoutais, qu'est-ce que M. Overblog entendrait, foutreburne !
    3
    Lundi 28 Avril 2014 à 16:34
    Annie GH
    Comme quoi les analyses qu'on peut faire sont parfois des analyses à la con !!!
    4
    Lundi 28 Avril 2014 à 17:23
    Gudule
    La tienne était pleine de bon sens : la petit phrase intérieure chuchotée à l'intention du lecteur, c'était non seulement plausible mais mignon tout plein !
    5
    Vendredi 2 Mai 2014 à 19:37
    Pata
    Hé, hé, j'aime bien aussi, l'analyse d'Annie ^^
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