• MÉMÉ GEORGETTE 20

                                                    VOCABULAIRE

     

             — Tu as remarqué ce phénomène bizarre ? dit mémé Georgette. La presse lance des modes que les politiques reprennent généralement en chœur. On n’entend plus que ça et c’est très irritant.

             — Quel genre de modes ?

             — Linguistiques. Il y a quelques années, tout le monde « tirait les conséquences », ce qui est une faute de français notoire. On ne tire pas les conséquences, on tire les conclusions. En revanche, on subit les conséquences, ou on les supporte. Mais ça ne loupait pas : les ministres, les députés, les journalistes, les avocats, bref tous les gens qui prenaient la parole en public « tiraient les conséquences » comme un seul homme. Et puis, ça s’est calmé. 

             — Ah, ouais, je m’en souviens. Avant, c’était « au niveau de » qui revenait à tout bout de champ.

             — Oh, ça, c’est vieux ! Depuis, tu as eu « revoir leur copie » qui a été mis à toutes les sauces, « vrai-faux », « instrumentaliser » — un grand favori — et le plus insupportable de tous, à mon avis : « tacler ». Tout le monde taclait tout le monde pour un oui pour un non...

             — Attends, attends, je vais en trouver d’autres !

             — Arrête ! S’il fallait répertorier tous les tics de langage qui ont fleuri durant ces dix dernières années, on en aurait jusqu’à ce soir. Toujours est-il qu’en ce moment, le terme à la mode, c’est « déraper » et « dérapage ».

             — Exact !

             — Dès que quelqu’un dit un truc qui déplaît, soit aux médias, soit aux politiques, il « dérape ». La dernière en date, c’est Viviane Reding, la Commissaire européenne à la Justice. Tout ce que François Fillon a trouvé à répondre à ses accusations, d’ailleurs parfaitement justifiées, concernant l’expulsion des Roms qu’elle qualifie de « scandale sans précédent depuis les deuxième guerre mondiale », c’est « Oh, l’autr’ ! Elle a dérapé ! ».

             — Fastoche !

             — Comme tu dis ! Une réaction de cour de récré, et qui évite d’argumenter. Argumente-t-on contre quelqu’un qui a « dérapé » ? Non, bien sûr ! Le mot se suffit à lui-même. Il est à la fois méprisant, péremptoire, réducteur et inapproprié. Et il fait passer pour une maladresse un discours souvent fondé et mûrement réfléchi.

             — C’est vrai, j’y avais pas pensé.

             — Le mot « déraper », si tu veux mon avis, c’est un petit pas dans le vocabulaire, mais un grand pas vers la connerie ! 

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 16 Septembre 2010 à 21:17
    El Marido!
    moui, dérapage.
    mais moi le mot qui m'énerve le plus c'est arbitrage. on ne tranche plus, on de prend plus de décision, on livre son arbitrage. écœurant.
    2
    barbara
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:53
    barbara
    J'adore la fin!!! Et tout le reste aussi hein .. Mais "déraper est un petit pas dans le vocabulaire et un grand pas vers la connerie", ça c'est bien dit!! Et ça me fait bien rire!! :)
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    3
    Kévin Hinault
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:53
    Kévin Hinault
    Particulièrement vrai comme billet :)

    Dans le même esprit, il y a une humouriste qui s'est fait un petit sketch sur le vocabulaire : http://www.youtube.com/watch?v=a9R0IulA6kg
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