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LE BEL ÉTÉ 47
LE FANTÔME DE LA CHAPELIÈRE
Le mot « cancer » a un écho très pavlovien, dans ma mémoire. Il m’évoque instantanément Mme Mariette, la chapelière.
Il y avait près de chez nous, dans le Bruxelles des années cinquante, un joli magasin de chapeaux. Quatre vitrines tout en longueur devant lesquelles je m’attardais avec délices. Des têtes de cire coiffées de bibis à voilettes, de capelines fleuries ou de bérets coquins s’y alignaient, pour mon plus grand bonheur. Digne prêtresse de ce temple de la mode, Mme Mariette ressemblait à ses mannequins. Même peau translucide, même chignon impeccable fixé sur la nuque par un peigne de nacre, même maquillage discret, elle incarnait pour moi l’idéal féminin tel qu’on le concevait dans la petite bourgeoisie belge de l’après guerre. Ajoutons à cela des tailleurs bien coupés, l’inévitable collier de perles dans l’échancrure du chemisier amidonné et, dès les premiers beaux jours, la petite robe à pois, si chic et de bon goût, agrémentée de gants et d’escarpins blancs…
Bref, quand j’imaginais mon avenir, c’était sous les traits de cette Ava Gardner flamande (plus distinguée que la vraie, selon les critères spécifiques de ma mère).
Puis, un beau jour, la chapellerie ferma « pour raison de santé ». Mme Mariette, atteinte d’un mal incurable, s’était, apprîmes-nous, retirée pour toujours dans sa maison de campagne.
— Elle a tellement maigri qu’elle ne veut plus se montrer, entendis-je maman glisser à papa. Elle qui était si belle, elle a honte de ce qu’elle est devenue, tu comprends ?
Cette réflexion a priori choquante trouva confirmation quelques semaines plus tard, lorsque la voiture de la commerçante stoppa devant sa boutique. En sortit furtivement une forme décharnée dont le visage, dissimulé sous un voile opaque, ne laissait rien deviner de son terrible secret.
L’enterrement eut lieu peu après.
— Ma femme n’était plus que l’ombre d’elle- même, nous confia son mari à l’issue de la cérémonie. Il ne lui restait que la peau sur les os.
Le magasin, par la suite, devint une charcuterie, et les mannequins disparurent des vitrines, remplacés par des pâtés en croûte, du lard gras, de la mortadelle et des chapelets de saucisses. Je n’en fus pas affectée outre mesure car mes projets d’avenir avaient changé de visage. L’étoile Bardot commençait à monter au firmament des stars, et, bien que maman la trouvât vulgaire (ou peut-être même grâce à ça), elle incarnait avec brio mon nouvel idéal féminin...
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Commentaires
1RykoMardi 17 Décembre 2013 à 09:54Répondre
Bref, il y a toujours un jugement porté sur le "malade", que ce soit de la compassion ou de l'accusation. Ceci ajouté à la honte de la déchéance physique peut hâter la fin.
Et puis il y a ceux qui, comme Gudule, se foutent du regard, du jugement des autres et c'est tant mieux. C'est quelque chose que j'admire profondément.
C'est pas le coup des p'tites bêtes qui me dérangent, c'est le coup de la grosse bête et méchante qu'elle a le front d'admirer15Pata lVendredi 29 Août 2014 à 13:2916Pata lVendredi 29 Août 2014 à 13:29
La vie continue quoi !
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