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LE BEL ÉTÉ 42
MON CANCER S’APPELLE GUILLAUME
Le jour où un médecin me parla de mon « gliome » , je compris « Guillaume » et lui fis répéter. Non seulement parce que ça m’évoquait « Le Bruit des glaçons » de Bertrand Blier, mais surtout parce que c’était le nom du gars qui m’avait pris la tête (!) durant une bonne partie de mon adolescence. Bien que de cinq ans mon aîné, il avait jeté son dévolu sur moi et m’épiait sans cesse, de la loge de concierge où vivaient ses parents. Sortais-je dans la rue ? Il en faisait autant. Allais-je à l’épicerie, à la boulangerie, au pressing ? Non content de me suivre, il m’y précédait, comme si mes intentions étaient inscrites sur ma figure. Me rendais-je à l’école ? Il m’y accompagnait — sans oser me parler, car ma mère le lui avait formellement défendu.
— Méfie-toi de cet énergumène, me répétait-elle sans cesse. C’est de la sale engeance !
Son jugement lapidaire était dû, selon moi, au physique ingrat de l’engeance en question. Imaginez un grand escogriffe affligé, quelle que soit la saison, d’un rhume qui engluait ses narines de morve jaunâtre, et qu’il essuyait d’un revers de manche en reniflant bruyamment… Avec le recul, je pense qu’il devait souffrir de mucoviscidose ou un truc dans le genre, mais à l’époque, on assimilait cette maladie encore mal connue à un rhume chronique…
Ah, que n’ai-je transgressé l’interdit maternel et balayé mes propres préjugés pour m’expliquer une fois pour toutes avec Guillaume ! Une bonne discussion aurait sans doute mis fin, clairement et en douceur, à ce harcèlement qui m’horripilait tant.
Au lieu de ça, j’eus la sottise de m’en plaindre à mes parents qui caftèrent aussitôt aux siens. Que leur dirent-ils ? Mystère. Mais à dater de ce jour, Guillaume disparut de la circulation. Tout le monde se demanda ce qu’il était devenu (à commencer par moi) , jusqu’au dimanche de Pâques où nous l’aperçûmes à la messe. L’église étant bondée, il ne restait plus le moindre prie-Dieu libre, sauf un, juste à côté de lui. Ma mère m’intima l’ordre de m’y agenouiller ; Guillaume en profita pour me glisser à l’oreille :
— Ne t’inquiète pas, va, je ne t’embêterai plus : je suis pensionnaire à Saint Léonard.
Je ne pus m’empêcher de frémir : cet établissement, tenu par des prêtres, avait une déplorable réputation. C’était une espèce de « maison de redressement », où étaient incarcérés, à la demande de leurs familles, des jeunes gens difficiles. Le bruit courait qu’il s’y passait des choses horribles…
— Mais… pourquoi t’es là-bas ? m’étranglai-je. Qu’est-ce que t’as fait de mal ?
Il me décocha un regard de biais.
— Ton père nous a menacés de porter plainte si je m’approchais encore de toi, et comme on ne veut pas d’histoires…
Je n’ai jamais revu Guillaume, car, six mois plus tard, nous déménagions. Mais par la suite, je n’ai plus pensé à lui qu’avec une boule de remords au fond de la gorge.
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Commentaires
Ça serait pas mal, non ?
Tes messages me ravissent, Anne-Marie. A quand le plaisir de se revoir ? (Je ne fais plus guère de salons, mais l'année prochaine...)
Cela dit, je ne serais pas contre le fait qu'on expédie ton gliome à Saint Léonard.
Sniiiiif
Tout ça pour dire qu'il y avait bien un poète italien qui s'appelait Metastase (en plus, il avait fait exprès). Alors un cancer qui s'appelle Guillaume, c'est finalement un juste retour des choses.
@ Ryko : garde ton strabisme, va : il te va comme un gant !
@Gudule : non, il s'appelait Pietro le pouët, comme dans l'expression "Pietro n'en faut." En fait, on n'en veut pas des métastases, des gliomes, des machins qui finissent en -ome, c'est toujours louche. Et quand c'est malin, je vous raconte même pas !
Bon après, moi je connais un p'tit malin qui s'appelle Guillaume, mais il a mal tourné : il est médecin !
En tout cas, je suis toujours partante pour faire les 400 coups, alors une livraison de machins en -omes chez les curés, pas de problème !
Ceci dit, cette supposition m'a valu un moment de solitude (bon il n'y avait que mon copain comme public et il s'est bien gardé de se payer ma tronche)...
J'ai découvert, il y a peu, que Lou Gherig était un sportif et non un toubib qui aurait découvert la maladie portant son nom (aux États-Unis uniquement). En fait cette maladie a été découverte par Charcot (le toubib, pas l'explorateur qui était aussi toubib, mais on s'en fiche) et dont le malade le plus célèbre est Stephen Hawking.
@ Pata : Ouaip, je trouve que la vie prend un malin plaisir à emberlificoter les événements, à les saupoudrer de coïncidences et à les épicer de tours de passe-passe, de faux-semblants et de jeux de dupes. C'est sans doute ce qui la rend si passionnante !
Confidence, c'est aussi pour ne pas faire comme tout le monde.
Bonnes nuits.
J'avoue que je ne connaissais que Pacôme de Champignac, pas le rejeton de Sarkozy, mais la contrepèterie est parfaite :)
Mais je pense toujours à Champignac, quand je vois Pacôme comme prénom :)
Ses personnages, ses monstres, ses signatures, ses complices... Ses dessins étaient vivants :)
Sinon, ad-tu lu la BD d'Olivier et Alfred : "Pourquoi j'ai tué Pierre", parue chez Delcourt il y a 3 ou 4 ans, deux prix à Angoulème ?
Et puis que je rattrape mon retard de lecture et que je range les BD en attente et que je trouve une solution rapidement pour quand on aura atteint la capacité maximale de rangement.
On a un peu plus de 1500 BD et on limite un peu les achats (budget et place...). On rate toujours des trucs, même en suivant les conseils des libraires...48Anne-MarieVendredi 29 Août 2014 à 13:3049Pierre-Yves DelarueVendredi 29 Août 2014 à 13:30
Le mien, il s'appelle "Oligodendrogliome de bas grade", ce qui fait très chic sur ma carte de visite.50Pata lVendredi 29 Août 2014 à 13:30
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L'éducation est-elle une science ou un art ? Je veux dire, les enfants sont-ils des cobayes ou des brouillons ?