• HOMMAGE À JEAN ROLLIN

     


     
     

     

      Ma rencontre avec Jean Rollin

      C'est par le biais de l'écriture, et non du cinéma, que j'ai découvert Jean Rollin. Je connaissais ses films, bien sûr, mais je n'avais jamais eu l'occasion de le rencontrer, malgré mes invitations réitérées à venir parler dans le micro de Radio Libertaire dont j'ai été longtemps  animatrice. Bref, il y a de cela une vingtaine d’années, un ami commun me téléphone : « Jean Rollin lance une collection de romans d'épouvante au Fleuve Noir, ça t'intéresse ? » Si ça m'intéressait ? J'étais dans le creux de la vague, comme on dit. Depuis des mois, je n'avais rien écrit. Pas d'éditeur valable, aucune inspiration ; le trou noir. Je téléphone à Jean, on prend rendez-vous, on discute un après-midi entier, nous émerveillant (enfin... moi, en tout cas) d'être à ce point sur la même longueur d'ondes. Je rentre chez moi regonflée à bloc, je me mets au boulot. Quinze jours plus tard, j'apporte Asylum à Jean. Puis Gargouille, puis Lavinia...  La "machine" s'était remise en route, et j'en serai toujours reconnaissante à l'instigateur de ce nouveau départ. C'était d'ailleurs l'une des plus étonnantes caractéristiques de Jean Rollin : il était fécondant.  Par son charisme et sa force de persuasion, il a ainsi poussé nombre de gens à écrire. Et si la plupart de ces personnes, n'ayant pas l'écriture dans la peau, n’ont pas récidivé, elles ont néanmoins mis, dans ce livre unique, le meilleur d'elles-mêmes. Et leur brève incursion dans le monde de l'édition restera sans doute pour elles un souvenir inoubliable.

        Signalons quand même qu’on doit à Jean Rollin les prémices de trois plumes admirables qui, depuis, on fait du chemin : celles de Pascal Françaix,  d’Alain Venisse et d’Olivier Ka.


       Le "style Rollin »

         Je ne suis pas théoricienne du cinéma, mais pour moi, Jean Rollin est ce que j'appellerai un peintre-cinéaste. Il conçoit ses prises de vue comme des tableaux. Je me suis souvent amusée, en passant ses films sur magnétoscope, à faire des « arrêts sur image » impromptus. La similitude avec les toiles de Clovis Trouille ou de Paul Delvaux saute alors aux yeux. On nage en plein surréalisme. À moins que — autre facette de l'univers rollinien — on ne se retrouve plongé dans les illustrations d'un feuilleton de Gaston Leroux, ou dans les pages du Journal des voyages. Car c'est ça, le style Rollin : un mélange de tableaux empreints de cette folie visionnaire propre aux surréalistes, et d'images d'Epinal stockées dans sa mémoire de vieil enfant rêveur.

         C’est également le cas de son œuvre littéraire, ses écrits n'étant, somme toute, que la prolongation de sa démarche cinématographique — ou l'inverse. Il y a un univers Rollin, point. Que cet univers se déploie en images, en mots, ou qu'il y ait interraction entre les deux langages lorsque l'un est l'adaptation de l'autre, la différence est anecdotique. Ce n'est qu'une question d'outil, d'éclairage. L'exploration de l'univers rollinien, qu'il se fasse avec une caméra ou une plume, entraîne toujours le spectateur — ou le lecteur — dans des territoires oniriques puissamment originaux, d'une sensualité sombre et déconcertante. Les préjugés les mieux enracinés y sont allègrement piétinés par de jeunes sauvageonnes perverses et tendres, sur lesquelles nos valeurs sociales n'ont pas prise. On y joue à cache-cache avec l'amour, la mort, l'au-delà, le pouvoir, la souffrance. Et le spectateur sort rafraîchi (ou outré. Par chance, Jean Rollin ne plaît pas à tout le monde ; rien n'est plus suspect que l'unanimité !) de ce bain de non-conformisme et de liberté.


      Sur le tournage des Deux Orphelines vampires

      Les Deux Orphelines vampires ont été tournées à la fin du printemps 1997 — un printemps pourri. Il faisait un froid de canard et il pleuvait sans cesse. Le château, qui avait été loué pour servir de décor au couvent, était une vraie glacière, et tout particulièrement la crypte. Ah, cette crypte... Les deux ou trois jours durant lesquels nous y avons tourné ont été, au sens propre du terme, un enfer. Tout le monde était malade, ça toussait, ça se mouchait dans tous les coins. Jean dirigeait son équipe de semi-moribonds enveloppé dans des couvertures et grelottant de fièvre. Il était si pâle qu'il aurait pu jouer un rôle de mort-vivant sans maquillage !

        Sa faiblesse était telle, d'ailleurs, qu'à la fin de chaque prise de vue, il était obligé de s'allonger. Il lui est même arrivé, certains jours, de donner ses indications à Jean-Noël, son assistant, depuis un lit le camp improvisé sur le plateau. Le soir, soutenu par sa collaboratrice Véronique Djaouti — sans qui il n'aurait peut-être pas eu la force de tourner son film jusqu'au bout — il repartait vers l'hôpital, tenter de se remettre en forme pour le lendemain.

       Véronique aussi a eu, sur ce décor, de nombreuses mésaventures. Avec ses ailes, entre autres... Ces ailes, créées par le décorateur Sylvain Montagne, étaient en caoutchouc et d'un poids redoutable, ce qui ne devait pas poser de problème au départ puisque, dans le scenario, la femme chauve-souris restait immobile, n'apparaîssant que comme une sorte de statue. Mais en cours de tournage, Jean, séduit par la silhouette de Véronique pourvue de ces appendices majestueux, modifie son rôle. Après être restée sans bouger sur l'autel de la petite chapelle mortuaire où trouvent refuge les orphelines, elle s'anime et les emmène avec elle dans la crypte. Superbe séquence. Véro, traînant ses lourdes ailes derrière elle comme une cape, a une allure, une démarche d'une étonnante beauté. Mais — revers de la médaille — la scène s'achève, hors caméra, par une violente crise de tétanie. Les bras et les mains paralysés par des crampes insupportables, Véro pleure de douleur, soutenue par un Jean désolé et repentant. Mais qu'importe : les images sont dans la boite. Ce sont probablement les plus belles du film.

        Dans le jardin du château, il y avait un paon. Or, au printemps, les paon sont en rut. Et crient beaucoup. Il suffit de préter l'oreille aux bruits de fond du film pour y distinguer les « Léon ! Léon ! » suraigues du volatile. Le preneur de son était au bord du suicide. Jean, en revanche, a pris la chose avec beaucoup de philosophie. Après tout, ces cris intempestifs collaient parfaitement à l'ambiance de son film, pourquoi l'auraient-ils dérangé ?  

     

     

     

     

     

     

     

     

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