• histoires de cow boys 3

                             

     

                                                                           LA MINE HANTÉE

     

             Tout le monde savait, à Bingbang-city, que la mine d’or de Redmountain était hantée. Depuis que son propriétaire — cette vieille fripouille de Gary Mneumneuf (Dieu ait son âme !) — avait été retrouvé dans l’abreuvoir à chevaux, une balle en plein cœur, il se passait là-bas de bien étranges choses. Aussi, lorsqu’un freluquet venu de la ville débarqua un beau matin de la diligence, et demanda le chemin de la montagne rouge, des ricanements l’accueillirent.

             — Qu’est-ce qu’un petit monsieur comme toi veut aller faire là- haut, fiston ? interrogea Old Frog, qui grattait son banjo sur les marches du saloon.

             Le nouveau-venu lui décocha un regard hautain.

             — Je me nomme Phinéas Mneumneuf, et je viens d’hériter de la mine de feu mon oncle, lâcha-t-il du bout des lèvres.

             Les ricanement redoublèrent.

             — Un bon conseil, mon gars, dit le gros Norman Van Choum en se curant les dents avec le canon de son colt : prends tes cliques et tes claques et retourne d’où tu viens.

             — Ça t’évitera de finir les pieds devant, comme ce vieux scélérat de Gary (Dieu ait son âme), ajouta sombrement Nick O’Lala.     

             Et, tandis que Pat ze Kat, croque-mort de son état, sortait un mètre ruban de sa poche pour mesurer la taille du nouveau venu — au cas où —, Old Frog égréna sur son banjo les premières notes d’une marche funèbre.

             Estomaqué par cet accueil réfrigérant, Phinéas Mneumneuf demanda des explications.

             — Depuis que cette vieille canaille de Gary nous a quittés (Dieu ait son âme), des bruits bizarres courent dans la région, répondit Norman Van Choum, après avoir craché par terre.

             — Paraîtrait qu’à la nuit tombée, d’inquiétantes lueurs rôdent autour de sa mine, continua Nick O’Lala d’un ton lugubre. Des gémissements montent des profondeurs de la terre... des cris... des hurlements à vous glacer les sangs...

             — Certains croient y reconnaître la voix de ton oncle, précisa Old Frog. S’ils ont raison, qu’est-ce qu’il dérouille, ce vieux forban (Dieu ait son âme) !

             — Et pourtant, il est mort et bien mort, assura Pat ze Kat. J’en sais quelque chose : c’est moi qui ai cloué son cercueil.

             — Ça doit être le diable qui lui tire les oreilles, conclut Norman Van Choum avec un rire gras. Ou qui lui rôtit les arpions...

             Phinéas Mneumneuf se mordilla nerveusement les lèvres. Comment interpréter ces avertissements ? Y avait-il réellement un problème, ou ces quatre zigotos se payaient-ils sa tête ?

             — Si tu veux vérifier par toi-même, prends cette route, reprit Nick O’Lala comme s’il  lisait dans ses pensées. À cinq kilomètres environ, tu verras un panneau coiffé d’une tête de mort : « Propriété privée ; quiconque y passe trépasse ». C’était ainsi que ce vieux filou de Gary (Dieu ait son âme) souhaitait la bienvenue à ses visiteurs.

             Sur ces mots, les cow-boys regagnèrent le saloon, tandis qu’Old Frog jouait un petit air guilleret. Longtemps, cette mélodie suivit le neveu du vieux Gary (Dieu ait son âme) qui s’éloignait en direction de Redmountain. Puis elle s’estompa et ce fut le silence, troublé de temps à autre par le cri des vautours.

            

             La mine semblait une bouche d’ombre, prête à croquer quiconque s’y aventurerait. Parvenu devant l’entrée, Phinéas s’arrêta. Pénétrer là-dedans était au-dessus de ses forces. Il s’assit donc sur le sol, sortit de sa musette un quignon de pain, un  peu de viande froide, et entreprit de pique-niquer.

             «  On réfléchit toujours mieux le ventre plein », se disait-il avec justesse.

             Les dernière lueurs du couchant incendiaient la Montagne rouge. Bientôt la nuit tomberait, et le malheureux jeune homme demeurerait tout seul, dans l’obscurité, auprès de cette mine prétendument hantée...

             À cette perspective, il frissonna. Et, histoire de se donner du cœur au ventre, il sortit la flasque de wiskhy qu’il gardait pour les grandes occasions, et s’en envoya une lampée.

             Ce fut à cet instant précis qu’une plainte d’outre-tombe s’échappa de la mine.

             — Soif !

             La peau de Phinéas se couvrit de chair de poule, et il bredouilla :

             — Tonton ? Est-ce toi ?

             — Qui veux-tu que ce soit ? répondit la voix.

             — Tu... tu n’es pas mort ?

             — Bien sûr que si ! T’as encore beaucoup de questions stupides à me poser ?

             Ce vieux coquin de Gary (Dieu ait son âme) n’était pas plus aimable mort que vivant. Curieusement, cela rassura Phinéas. Il était en terrain connu.

             Prenant son courage à deux mains, il entra dans la mine en criant à tue-tête :

             — T’es où ?

             — Par ici !

             La voix provenait d’une galerie adjacente, à laquelle on ne pouvait accéder qu’à quatre pattes. Phinéas rampait dans le boyau obscur quand il aperçut, quelques mètres plus loin, une vague clarté vers laquelle il se dirigea.

             — C’est toi, tonton ? 

             C’était lui, en chair et en os. Non, je rectifie, pas en chair et en os, mais dans une curieuse matière translucide. Une sorte de brouillard légèrement fluo. Quand son neveu voulut le serrer dans ses bras, il ne rencontra que du vide.

             Cela le déstabilisa. Durant quelques secondes, il resta bouche bée.

             — Alors, il vient, ce wiskhy ? glapit son oncle.

             — Euh... oui, tonton.

             Docilement, Phinéas lui tendit la flasque, mais le fantôme ne put la prendre. Sa fichue main passait au travers.

             — Verse ! ordonna-t-il en ouvrant la bouche.

             Le jeune homme s’exécuta. L’alcool traversa son fichu gosier et coula à terre.     

             Au même moment, un brouhaha éclata dans la mine.

             — Qu’est-ce que c’est ? souffla Phinéas.

             — Tous les salopards que j’ai zigouillés parce qu’ils voulaient me piquer mon or. Ils reviennent chaque nuit me tourmenter.

             — Et... ils sont nombreux ?

             — Une bonne dizaine.

             — Tu as tué dix personnes ?!

             Le fantôme se rengorgea.

             — Il fallait bien que je défende ton héritage, non ?

             — Merci, mais tu n’aurais pas dû, s’indigna Phinéas. On n’assasssine pas les gens pour...

             Il n’eut pas le temps d’en dire plus : des êtres immatériels surgissaient de partout. Ils étaient, à l’évidence, fort agressifs et se jettèrent sur Gary pour le mordre.

             — Phinéas, au secours ! cria le malheureux.

             —  STOOOP ! hurla Phinéas.

             Les spectres, surpris, s’immobilisèrent.

             — Maintenant, tout le monde s’assied et on s’explique, décréta le jeune homme avec autorité. Que voulez-vous exactement, messieurs?

             Cette question s’adressait à la meute d’énervés.

             — De l’or ! répondirent-ils en chœur.

             — Eh bien, prenez-en autant que vous voudrez, et barrez-vous.

             — Ça va pas, la tête ? protesta Gary.

             Phinéas le toisa avec sévérité.

             — Qui est propriétaire de la mine, maintenant ?

             — Euh... toi.

             — Alors, j’en fais ce que je veux et tu la boucles.

             Un murmure de satisfaction parcourut le groupe d’esprits. Il semblaient bien plus calmes, d’un seul coup. L’un d’eux prit la parole au nom de ses camarades :

             — Nous te remercions de ta compréhension, mais il y a quand même un petit souci.

             — Lequel ?

             — Cet or, comment ferons-nous pour le transporter ? 

             Phinéas avait oublié ce détail.

             — Si je pose une pépite sur chacune de vos tombes, vous estimerez-vous satisfaits ? demanda-t-il, après mûre réflexion.

             Les fantômes se consultèrent du regard, puis hochèrent la tête.

             — D’accord, déclara le porte-parole. Une pépite chacun. Mais une belle, hein ! N’essaie pas de nous gruger !

             — Ça va de soi : je suis un honnête homme, moi, contrairement à d’autres...

             Se sentant visés, les fantômes se ratatinèrent.

             — Donnez-moi vos noms, reprit Phinéas. Indiquez-moi où vous êtes enterrés, et dans une heure, vous serez riches !  

             Une demi-heure plus tard, ayant rempli un gros sac de pépites — et ce, en dépit des supplications de son oncle qui essayait de les retirer au fur et à mesure —, le jeune homme prenait le chemin du cimetière.    Il trouva sans peine les dix tombes et y déposa la rançon promise. Aussitôt, les spectres rappliquèrent, afin de veiller sur leur trésor.

             Quand les habitants de Bingbang-city s’éveillèrent, le lendemain matin, ils clignèrent des yeux, éblouis. Car l’or du cimetière étincelait au soleil — ce qui suscita bien des convoitises, vous vous en doutez. De sorte que, à dater de ce jour, les fantômes, trop occupés à repousser les voleurs, ne mirent plus jamais les pieds à la mine. Et Phinéas Mneumneuf, débarrassé de leur encombrante présence, coula des jours heureux en compagnie de son oncle, car il avait l’esprit de famille.

            

     

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 17 Décembre 2014 à 12:51
    L'esprit de famille et toute une famille d'esprits ^^
    2
    Mercredi 17 Décembre 2014 à 15:37
    Tororo

    Heureusement que c'était pas le fantôme de Gary Bdensylla, avec lui ça aurait pu finir plus mal.

    3
    Mercredi 17 Décembre 2014 à 16:58

    oh, TORORO, L'INSOUTENABLE CALEMBOUR !

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    4
    Mercredi 17 Décembre 2014 à 17:35

    J'AIME BIEN LA NOTION "D'ESPRITS DE FAMILLE" POUR LES SPECTRES DES ANCÊTRES !

    5
    Mercredi 17 Décembre 2014 à 17:38

    CE SERAIT MÊME UN ASSEZ JOLI TITRE  pour un livre fantastique :" esprit de famille"

    6
    Mercredi 17 Décembre 2014 à 17:46

    Tu ferais pas une "Histoires de Bretons" qui s'appellerait "l'ami Nantais", avec Nick O'Lit et Pat Salisette ?

    7
    Mercredi 17 Décembre 2014 à 17:52

    Sinon, j'adore cette série. happy

    8
    Mercredi 17 Décembre 2014 à 22:58

    Bon, c'est décidé, je vous envoie mes textes, vous me revoyez mes titres ? :D  (comment ? vous demander si vous êtes d'accord ? Ah ? ^^)

    Quelques calembours pour des textes sombres... ^^

    9
    Dimanche 16 Août 2015 à 01:55

    C'est sûr qu'avoir des fantômes chez soi, ça vous mine, alors à plus forte raison dans un tel lieu !

    Donc, cela confirme le dicton, les spectres et leurs hurlement étant parti, et vu le moyen utilisé pour les déloger, on peut effectivement dire que le silence est d'or ^^

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