• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 95

    Saint Nicolas

      J’ai toujours eu du mal avec l’autorité, surtout quand je l’estime illégitime (ce qui est le cas neuf fois sur dix). Aussi, enfant, contestais-je celle exercée à mon encontre par mon frère Claude, de dix ans mon aîné. En résultaient des disputes mémorables qui mettaient ma mère hors d’elle.

             En ce temps-là, je croyais encore, non au père Noël mais à Saint Nicolas. C’était lui qui, dans la nuit du 5 au 6 décembre apportait des jouets aux petits Belges, ainsi que des noix, noisettes, oranges et sujets en massepain. Le rituel était toujours le même. La veille au soir, on posait trois assiettes sur une jolie nappe blanche — une par enfant. Toute la famille, parents compris, faisait la ronde autour de la table, en chantant à tue-tête : « Venez, venez, Saint Nicolas ». Puis, après avoir posé, dans un coin, une bouteille de vin pour le visiteur nocturne et un panier de carottes pour son âne, on fermait le salon à clé et on allait dormir. Au réveil, papa rouvrait la porte et, devant l’amoncellement de merveilles, on criait tous bien fort : « Merci, Saint Nicolas ! ».

             Or, cette année-là, l’année de mes six ans, une terrible désillusion m’attendait. S’il y avait bien des cadeaux dans les assiettes de mes deux frères, la mienne était vide. Enfin, pas tout à fait : elle contenait un petit mot. « Anne n’a pas été assez sage pour mériter une récompense, je ne lui ai donc rien apporté. Toutefois, si d’ici dimanche, je ne l’ai pas entendue se disputer avec Claude, peut-être repasserai-je exceptionnellement. Signé : Saint Nicolas. »

             Sous la douche glacée, je demeurai sans voix, estomaquée. Avant de fondre en larmes, comme il se doit.

             La journée fut d’une grande tristesse. Mes frères regardèrent à peine leurs cadeaux, et mes parents, conscients de l’extrême rigueur de la punition, me consolèrent à tour de rôle. Comme promis, Saint Nicolas revint quelques jours plus tard. Mais je lui gardai toujours une sourde rancune : pourquoi avais-je été punie, et pas mon frère ? J’en conclus que les évêques étaient tous misogynes. Belle mentalité, pour des gens qui prêchaient la Justice !

             Ce fut sans doute le point de départ de mon anticléricalisme. Bien joué, papa et maman !   

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 22 Mars 2012 à 08:44
    benoît barvin
    Hum... Cela fait beaucoup de "départs" de ton anticléricalisme, si je me souviens bien... Ceci dit, il y a tellement d'idioties utiles, dans les religions, pour les bouter hors de notre esprit, que c'en est un régal!
    2
    Jeudi 22 Mars 2012 à 19:06
    Castor tillon
    Quand j'étais gamin, nous avons passé une soirée de Noël chez mon pote. Son (gros) cadeau, était barré d'une grande croix de chatterton rouge : il n'avait pas bien travaillé à l'école, alors pas de cadeau. J'étais consterné. Je trouve le procédé ignoble, et considère qu'il produit l'effet exactement inverse de celui escompté, à savoir une incitation à la révolte.
    3
    Mardi 27 Mars 2012 à 19:18
    Martine27
    Là je dois dire que c'était dur quand même et comme tu dis pour se disputer il faut être deux (enfin en principe)
    4
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    Odomar
    Tiens, tu remercies tes parents et non St Nicolas lui-même: c'est pourtant lui qui t'a laissé ce billet...

    Je constate que ton émotion n'est pas encore éteinte puisque tu écris "dans la nuit du 4 au 5 décembre" alors que St Nicolas ne passe que la nuit suivante !
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    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    C'est parce que j'ai grandi !
    En revanche, tu as raison pour la date. J'ai longuement hésité... et j'ai pris la mauvaise option. C'est tout moi, ça !
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Et à l'anticléricalisme (mais ça, bien qu'involontaire, c'est plutôt positif, comme résultat)
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Tu as d'autant plus raison que, quand j'en reparle aujourd'hui à mon frère, il admet qu'il était odieux avec moi ! Mais dans les années 50, les garçons avaient tous les droits, et les filles aucun.
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