• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 93

    Vocation infirmière

      Suite à mes novélisations de la série l’Instit (1997-1999), une maison de production de téléfilms me contacte. Son but avoué : surfer sur la mode des thèmes sociaux.

             — Nous souhaitons, m’explique la jeune femme que j’ai au bout du fil, créer une héroïne de la trempe de l’Instit. Une infirmière qui prenne en main la destinée de ses semblables, et n’ait pas peur de « se mouiller » pour faire triompher la justice ou venir en aide aux défavorisés.

             Le projet me plaît. D’autant que, ayant adapté en livres une bonne trentaine d’épisodes de ce genre, j’en connais toutes les ficelles. Je donne donc mon accord de principe, et la dame me fixe rendez-vous une semaine plus tard avec toute l’équipe, pour une première prise de contact.

             — Si vous arriviez avec une idée-choc, cela nous ferait gagner du temps, suggère-t-elle. Et nous pourrions partir sur du concret.

             Je me mets aussitôt au travail, et torche en quelques jours « Elle ne parle pas, elle chante ». C’est l’histoire d’une petite trisomique séquestrée par sa mère, entraîneuse dans un bar. Seule une chansonnette, s’échappant du réduit où elle est enfermée, trahit la présence de l’enfant dont nul ne connaît l’existence... Je bosse comme une malade pour finaliser mon récit avant le rencard, et me pointe à l’heure dite, assez contente du résultat.

             Le staff de production n’a pas du tout  la réaction que j’espérais.

             — Une trisomique ! s’effarent toutes les personnes présentes. Non, ce n’est pas possible : « Vocation infirmière » sera programmé à une heure de grande écoute.  

             Bien que la logique de ce raisonnement m’échappe, je propose, conciliante :

             — Si c’est le physique de la petite fille qui vous dérange, elle peut aussi être autiste. Ce qu’il faut, c’est que sa mère ait honte d’elle, qu’elle n’assume pas sa différence. Et que l’infirmière, en lui ouvrant les yeux, lui permette de surmonter ses préjugés.

             — Votre scénario est excellent, assure un chauve à l’air affable, c’est la handicapée qui pose problème. Les téléspectateurs sont là pour se détendre, vous comprenez ? Il ne faut pas leur montrer ce qu’ils n’ont pas envie de voir. 

             — J’ai une idée, s’écrie quelqu’un. Si la petite fille était noire ?

             Cette proposition recueille tous les suffrages.

             — Réécrivez l’histoire avec une Noire, me recommande-t-on, avant de me congédier. Et revenez nous soumettre votre nouvelle mouture la semaine prochaine.

             Je n’y suis jamais retournée.


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  • Commentaires

    1
    Mardi 20 Mars 2012 à 07:26
    benoît barvin
    Ben, une Noire trisomique ayant des tendances autistes, naine bien sûr, peut-être avec une jambe de bois, ayant une maladie rare - en plus - et accro aux séries TV françaises (genre Julie Lescaut), ça l'aurait mieux fait... Tu as vraiment raté le coche!
    2
    Mardi 20 Mars 2012 à 10:41
    Amanda Hinault
    Le plus inquiétant la dedans c'est la propre gêne de la production d'avoir a mettre en avant une handicapée, c'est un paradoxe étrange avec ton personnage qui laissait la petite fille dans le placard. Eux aussi l'y ont laissé :(
    3
    Mardi 20 Mars 2012 à 11:12
    Kouraï
    Ce qui me perturbe (hormis cet affligeant "changement" bien entendu) c'est que si le personnage principale était une infirmière, une handicapée ou autiste c'était parfait ! Quel intérêt à vouloir prendre une infirmière si c'est pour ne pas aborder ce genre de sujet...
    4
    Mardi 20 Mars 2012 à 12:20
    Amanda Hinault
    Pas nécessairement, ils auraient pu broder la dessus une histoire de viol dans sa jeunesse et ressortir un tas de poncifs conservateurs contre les IVG ...
    Ou encore une histoire d'insémination artificielle et mettre en avant des formes d’eugénismes ...
    La dessus les productions télévisées je leur fait confiance pour donner des orientations à leurs shows et convenir à du public étroit d'esprit.
    5
    Mardi 20 Mars 2012 à 15:29
    Tororo
    Ouch! Une mère qui cache sa fille parce qu'elle est noire, c'était déjà le thème d'une des aventures de Sherlock Holmes... et même Conan Doyle, dans les années 1880, semblait penser que c'était un peu over the top. Les choses ne changent pas vite, on dirait.
    6
    Mercredi 21 Mars 2012 à 17:46
    Castor tillon
    L'assimilation handicapés-Noirs, c'est également ce qui m'a frappé. Cette façon de penser m'aurait aussi dissuadé de revenir.
    7
    Dimanche 25 Mars 2012 à 11:01
    Martine27
    Y en a marre du politiquement correct ! Tu as bien fait de ne pas y retourner !
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Le problème, ç'aurait été pour trouver l'actrice... Ceci dit, trop de frilosité tue : la série n'a jamais vu le jour. Bien fait.
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Non, tu n'as pas osé cette double et insoutenable contrepetterie ? Pour la peine, je l'écris ici en grand, afin que tout le monde en profite : C'EST MOU LES GRAS DE NARINE. Castor ! Tu me copieras cent fois "Je ne dois pas polluer les oreilles de mes contemporains avec des jeux de mots foireux". J'ai dit. Hugh !
    Ceci dit, elle est excellente !
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Oups, je me suis trompée de note. Cette réponse était destinée à Castor Tillon et répondait à son message de la Solitude précédente. Hugh.
    11
    Chicxulub
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    Chicxulub
    Je sens dans votre billet une critique sous-jacente... j'avoue ne pas comprendre pourquoi : que le public ait cessé de ne pas avoir envie de voir de Noirs me paraît une excellente nouvelle !
    12
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Ce qui me choque, c'est l'assimilation handicapés-Noirs, tout simplement. On m'a "accordé" une petite fille noire pour justifier les problèmes de la mère... Mais votre réflexion est, effectivement, fort intéressante : le public des sitcoms n'est pas "dérangé" par la présence de héros noirs. C'est une bonne nouvelle !
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    13
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Dans la mesure où cette infirmière, de même que son modèle l'Instit, endossait aussi le rôle d'assistante sociale et de psy, un "enfant dans le placard" la concernait également. Qu'il soit ou non handicapé. L'absurdité réside, à mon avis, dans le rejet de l'image du handicap par la production (qui, en l'occurence, se conduisait comme la mère dont le scénario dénonçait l'attitude). En revanche, ce rejet viscéral de la maladie ne pouvait, en aucun cas, s'adapter à enfant de couleur. Ou alors, on situe carrément l'intrigue au XVIIIème siècle ! (D'autant que pour l'avoir, son enfant de couleur, elle avait d'abord couché avec le père, non ?)
    14
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Merci pour la référence. C'est exactement ce que je pense ! Notre télévision a un siècle et demi de retard. Est-celle le reflet de la mentalité de la majorité de nos contemporains ? Je n'ose le croire.
    15
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Je n'en attendais pas moins de toi, cher Castor !
    16
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Exact, Amanda. J'y ai d'ailleurs pensé en écrivant la dernière phrase de mon commentaire. C'est bien que tu l'aies relevé. Effectivement, on pouvait partir sur une histoire de viol et d'enfant haï... Mais du coup, y avait même pas besoin de lui donner une caractéristique physique particulière, à ce gamin, et on tombait dans une histoire parfaitement différente mais tout aussi intéressante.S'ils m'avaient suggéré la chose, j'aurais peut-être marché, mais à tous les coups, c'est mon discours qu'ils n'auraient pas assumé... Quand on n'est pas faite pour le discours lénifiant de la télé, hein !
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