• grands moments de solitude 92 (tome 2)

     

                                         Des souris et des femmes (ter)

     

             La mère d’Alex habitait un charmant studio, rue de la Roquette. Durant un bref séjour à l’hôpital, elle l’avait prêté à Mélanie (17 ans), qui raffolait de ces vingt-cinq mètres carrés (avec balcon), donnant sur le Père-Lachaise, d’une part, et sur une cour parisienne plantée d’arbres, de l’autre. Or, ce studio était « hanté ». La nuit, on y entendait des bruits bizarres : frôlements, soupirs, couinements, course furtive. De temps en temps, la chute d’un objet nous réveillait en sursaut. Et, le matin, de minuscules traces de sang souillaient parfois le bout de nos doigts ou de nos orteils.

               — Le fantôme est encore passé, disait en riant Mélanie. Regarde, il m’a mordu l’index !

               Mis à part ces petits incidents nocturnes, leur cohabitation se déroulait sans heurts. Il eût fallu bien davantage qu’un simple fantôme pour perturber ma fille !

               Ce fantôme, cependant, n’en était pas un, mais une souris blanche, échappée sans doute d’un logement voisin, qui avait élu domicile dans le tiroir à biscottes de la têta*.

               Le jour où Mélanie découvrit le pot aux roses fut le premier d’une grande histoire d’amour. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, Biscotte devint à la fois sa mascotte, sa compagne, sa muse, sa confidente, et sa partenaire favorite en grignotage de chamallows ou de pop-corn.

               Puis, un jour, la têta revint. Connaissant son aversion pour les rongeurs, Mélanie lui cacha, autant que faire se pouvait, sa nouvelle colocataire. Elle tenta même de l’emmener chez nous ; en vain. Biscotte avait ses planques, et dès qu’on cherchait à la capturer, devenait, au sens propre du terme « une souris fantôme ». De sorte que ma fille, la mort dans l’âme, fut bien obligée de l’abandonner à son sort.

               — Je lui fais confiance, disait-elle, cependant. Elle est maligne, elle s’en tirera toujours. D’autant que Têta ne voit plus grand-chose, et je l’imagine mal coursant une souris !

     

               Elle avait tort. Si Têta ne coursa pas la souris, elle s’adressa, en revanche, à une entreprise de dératisation,

               — Comme ça, l’appartement sera clean pour te recevoir, annonça-t-elle à Mélanie, un beau matin. Je te l’avais promis, tu t’en souviens ?

               Et de préciser, toute rayonnante d’amour grand-maternel :

               — J’ai transféré le bail en ton nom pour qu’il n’y ait pas d’embrouille avec le propriétaire, et j’ai payé six mois de loyer d’avance. Désormais, te voilà « dans tes murs ».

               — Et toi ?

               — Je retourne au Liban vivre auprès de ma sœur. Tu es contente, chérie ?

               En guise de remerciement, ma fille fondit en larmes. Car ce qu’elle aimait surtout, dans ce studio, c’était Biscotte.

     

                                                     *Têta : grand-mère (en arabe)

              

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  • Commentaires

    1
    Mardi 25 Août 2015 à 11:21

    Triste fin, à cette histoire d'amour... Mélanie a du dire bail-bail a son amie, en retrouvant son logis :(

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