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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 9
Daniel, Danièle
Démarrer dans la profession d’auteur pour la jeunesse n’est pas chose aisée. En vivre, encore moins. Heureusement, dans les années quatre-vingts, des instances officielles soutenaient les débutants, en particulier le ministère de la jeunesse et des sports qui, tous les ans, dotait généreusement un roman inédit.
— Tu devrais présenter un manuscrit, m’avait conseillé un ami écrivain, lui-même lauréat quelques années plus tôt.
Pourquoi pas ? À condition de trouver une idée originale, bien sûr... Mais laquelle ?
La vie m’offrit sur un plateau un sujet selon mon cœur.
A cette époque, j’avais une amie transsexuelle qui, comme c’est parfois le cas, avait une curieuse allure. Ni tout à fait femme, ni tout à fait homme, elle affrontait quotidiennement le regard de ses contemporains, dont la palette allait de l’ironie au mépris, voire à une franche hostilité. Ma fille Mélanie, alors âgée de sept ans, l’adorait, si bien que j’avais fini par l’embaucher comme baby-sitter. Les mercredis après-midi, pendant que j’étais au bureau, elles se baladaient au bois de Vincennes, musardaient sur les grands boulevards, faisaient du shopping ou allaient au cinéma, et Mélanie rentrait toujours enchantée de ces escapades. Elles étaient si complices que ma fille avait pris l’habitude de l’appeler « maman » en public, ce qui closait le bec aux préjugés et donnait à Danièle l’illusion d’être enfin une « vraie » femme. La maternité, c’est le label de féminité par excellence, non ?
Sur cette relation que je trouvais adorable, je brodai un petit roman à ma manière, où se côtoyaient l’humour, le suspense et l’émotion, puis, très contente de moi, j’envoyai mon œuvre à qui de droit.
Le résultat fut proclamé quelques mois plus tard, au cours du salon de Montreuil. Le cœur battant, je m’y rendis.
Or, non seulement « Daniel, Danièle » ne fut pas retenu, mais après avoir remis les prix, le président du jury annonça qu’il avait une déclaration à faire. En substance, il souhaitait que « les candidats qui seraient tentés d’envoyer des textes scabreux, mettant en scène des travestis ou des maniaques sexuels, veuillent bien s’en abstenir ».
— Je vous rappelle que ce prix est destiné à promouvoir une œuvre littéraire de qualité, non à faire l’apologie des déviances, conclut-il, sous les applaudissement.
Certes, il ne m’avait pas regardée, en disant ça, puisque les envois était anonyme. Mais comme j’avais piqué le fard de ma vie, j’eus le sentiment que toute la salle se tournait vers moi, et qu’on me montrait du doigt en chuchotant : « C’est elle, la salope qui pervertit notre belle jeunesse ! »
J’ai eu du mal à m’en remettre, et « Daniel, Danièle » est resté dans mes cartons. Il y est toujours. M’exposer à un autre camouflet aurait été au-dessus de mes forces !
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Commentaires
Je lis Spirou depuis mon enfance (oui je grandis difficilement) et j'ai vu beaucoup d'améliorations dernièrement sur les sujets de sexualité et genre. Je crois que c'est du à une arrivée massive de jeunes auteur(e)s comme Melaka d'ailleurs ! Tout n'est pas perdu ;)
Au besoin, si tu as besoin d'un siffleur-pour-discours-de-connard, je serai là.
En tout cas, c'est encourageant de savoir qu'il y a des auteurs qui pensent qu'on peut en parler, à tout âge, et que c'est légitime.9GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:5010GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:5011GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:5012GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:5013MélanieVendredi 29 Août 2014 à 13:5014guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:5015guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:5016NadegeVendredi 29 Août 2014 à 13:5017guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:50
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Mais tu avais raison, l'histoire de ton amie et Mélanie est réellement touchante, ça sauve un peu les meubles, et je suis contente qu'elle ait pu connaitre des sentiments maternels. Il y a très peu de temps quand une amie m'a fait porter son bébé -de tout juste un mois- dans les bras toute une soirée, j'ai aussi découvert un élan de féminité que je n'imaginais pas connaitre un jour. Certainement un de mes plus beaux souvenirs de femme.
Merci Gudule !