• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 85

    Muriel

      Devenir héros de roman n’est pas du goût de tout le monde. Lorsque parut mon premier livre, « Et Rose elle a vécu », je m’empressai de l’envoyer aux copines de classe dont j’avais conservé l’adresse, puisque j’y évoquais notre passé commun. Partant du principe qu’il y a plus d’un âne au moulin qui s’appelle Martin, j’avais naïvement mis leurs vrais prénoms. La plupart d’entre elles, devenues entre-temps des femmes mûres, me remercièrent vivement. Cette lecture, m’assurèrent-elles, avait, durant quelques heures, ranimé leur adolescence, et un p’tit coup de jeunesse est toujours bon à prendre. Seule note discordante dans cet aimable concert : Muriel. C’était d’autant plus surprenant que je lui avais donné un rôle flatteur, vu qu’entre treize et seize ans, elle était mon idole. Je la trouvais belle, intelligente, bien sapée, gentille — bref, je la parais de toutes les qualités, et les pages la concernant reflétaient fidèlement cette admiration.

             «  Je trouve odieux, m’écrivit-elle, que mon image soit galvaudée par une écrivaillonne en mal d’inspiration. Tu me prêtes des paroles que je n’ai jamais dites et des sentiments que je n’ai jamais éprouvés. Si tu as besoin de personnages, invente-les mais ne pollue pas la mémoire des autres par tes soi-disant souvenirs bidons ! »

             Depuis, je prends toujours soin de changer les noms. Sauf ceux des amis sûrs, évidemment ! Et des morts — et encore...


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  • Commentaires

    1
    Lundi 12 Mars 2012 à 08:25
    benoît barvin
    Cela m'amuse toujours de voir des gens, outrés parce qu'ils sont montrés comme de "méchants" dans un livre, aller jusqu'à intenter un procès. Curieuse idée qu'ils se font d'eux-mêmes... Si j'étais décrit comme un gros dégoûtant, dealer de coke et zieutant les petites filles à la sortie des lycées, j'avoue que j'aurais du mal à me reconnaître. Ben non, certaines et certains - pour le blé, je suppose - vont jusqu'au tribunal pour moins que ça... Quant à ta copine, parée de toutes les vertus, c'est certainement l'image qu'elle avait dans son miroir, chaque jour, après des années de relâchement moral - soyons cynique - qui lui a fait - mal - prendre ton hommage... C'était plutôt dicté par le dépit du passage des ans "l'irréparable outrage", comme dit l'autre, qui l'a rendue si acerbe. A moins que sa beauté n'ait caché, en fait, un vide sidéral - et sidérant - d'intelligence? En tout cas, moi qui ai lu ce premier tome, je ne me rappelle plus d'elle. C'est dire comme elle m'a marqué, la pauvre petite...
    2
    Lundi 12 Mars 2012 à 18:57
    Castor tillon
    Ah, elle trouve son image galvaudée ? Ben heureusement que tu ne l'as pas sabrée. Les réactions des gens sont vraiment stupéfiantes, limite surréalistes. Tiens, un exemple : si un jour tu écris que pour sauver un arbre il faut bouffer un Castor, je serai très fier d'avoir été cité.
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    3
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Si, si, tu t'en souviens forcément : elle s'appelait Claire, en vrai (mais, comme je l'ai dit, j'ai changé son nom). Et elle est devenue, comme tu le supposes fort justement, une grosse rombière aigrie par ses multiples divorces, effroyablement ragoteuse et malveillante, qui crache son venin tous azimuts. Je l'ai revue une fois mais pas deux : en un heure de temps, elle a taillé des costards à tous les gens qu'on connaissait - y compris son mari qui était un amour. Je me suis sauvée à toutes jambes.
    4
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    Ah, ce proverbe-là, je ne le connaissais pas. Je ne connais que celui du castor qui construit sa maison avec sa queue, ce qui, à mon humble avis, est tout à son honneur. C'est un excellent outil, si on y réfléchit. Va savoir si un jour, ce noble animal ne se retrouver pas dans un de mes romans ! Au moins, toi, je sais que tu ne râleras pas.
    5
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    Odomar
    C'est incroyable le nombre de gens qui font ce contresens, confondant personne et personnage. Des gens qui ne comprennent rien à la littérature ! On les plaint, évidemment, mais d'où peut venir une telle étroitesse d'esprit ?
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:48
    gudule
    J'avoue ne pas comprendre non plus. Est-ce l'effet miroir du livre qui flatte ou agresse, selon la personnalité qui y est décrite ? Combien d'auteurs se sont fâchés à mort avec leur famille pour en avoir, ainsi, portraituré des membres... Et, en revanche, le "tu me mettras dans un de tes romans, dis ?", on l'entend tout le temps, aussi. Ah, la sacralisation, positive ou négative, de la chose écrite ! ...
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