• grands moments de solitude 84 (tome 2)

                                                                          Angoulême

     

     

            Nous nous étions connus au salon de la bande dessinée de Clichy dont il était le fondateur. Il s’appelait Esteban et ressemblait trait pour trait au Maxime Le Forestier de l’époque ; celui de La Maison bleue, voyez ?

            Or, un beau matin, le voilà qui m’appelle.

             — La ville d’Angoulême veut organiser un festival annuel dans le même esprit que le nôtre, m’annonce-t-il. On m’a proposé de m’en charger, mais j’ai besoin d’une assistante. Toi qui connais tout le monde dans le milieu de la BD, ça ne t’intéresserait pas ?

            Et comment, que ça m’intéresserait ! Un job peinard, qui mettrait du beurre dans les épinards, et surtout me donnerait le sentiment d’exister. Sortir de mon ghetto d’épouse et de mère, jouer un rôle actif dans la grande aventure du « neuvième art »* alors en plein essor, je ne demande que ça…

            — J’en parle à mon mari et je te donne ma réponse.

             Hélas, Alex n’est pas d’accord, pas d’accord du tout.

            — Ce type te drague, c’est visible à l’œil nu, déclare-il, péremptoire. Tout ce qu’il cherche, c’est à te mettre dans son lit.

             J’ai beau protester que bon, il se pourrait peut-être, sait-on jamais, qu’on s’intéresse à moi pour autre chose que mon cul ( mon sens de l’organisation, genre, ou des relations publiques — ou même mon carnet d’adresses, pourquoi pas ?) Mais quoi que je dise ou fasse, Alex n’en démord pas. D’autant qu’Angoulême est à six cents bornes de Paris, et…

            — Tu te vois aller là-bas pour un oui pour un non ? Qui c’est qui s’occupera des gosses en ton absence, hein ?

            — Ben, toi.

            — Et mon boulot, il se fera tout seul ?

            — Et le mien ?

             — Pfff, l’organisation d’un petit salon de rien du tout, tu appelles ça du boulot ?

             Bref, de fil en aiguille, le ton monte, l’énervement aussi,  et, comme d’hab’, je finis par céder. Les bras de fer, je suis pas taillée pour.

             De guerre lasse (mais la rage au cœur), je téléphone à Esteban pour lui faire part de ma  (!) décision, mais, quand je demande à lui parler, la standardiste m’annonce :

             —Il est décédé hier d’un accident de voiture.

            Voilà qui met un terme à notre différend.

     

            Quarante-cinq ans plus tard, le Festival d’Angoulême reste la référence internationale en matière de BD.

     

            

                                       * neuvième art = Bande dessinée

     

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 4 Septembre 2014 à 06:36
    Tororo
    Une toute petite consolation (si on veut): depuis maintenant pas mal d'années le bras de fer est devenu le sport officiel au festival d'Angoulême (voir l'état actuel des relations entre le bureau du festival, le CIBD, Leclerc, etc)... alors Gudule aujourd'hui ne se sentirait peut-être pas tellement "chez elle " au festival. Y'a pas que le bras de fer dans la vie, d'ailleurs: y'a plein d'autres sports d'appartement aussi amusants!
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    2
    Jeudi 4 Septembre 2014 à 09:45

    sur que ça ne me plairait pas, mais c'est de la vieille histoire, tout ça; juste des petits incidents de parcours "la vie, l'amour la mort et le pâté de pélican", comme disait l'autre...

     

    3
    Mardi 30 Décembre 2014 à 11:09

    Oh...

    Esteban, dans sa cité dort...

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