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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 77
Le vampire
Il se nommait Virgil. Virgil Lemauve. C’était un drôle de type, laid à faire peur, ombrageux, vindicatif, caustique jusqu’au cynisme et en grande demande affective. Il squattait chez Sylvain avant mon arrivée, de sorte que, fort de son droit d’ancienneté, il s’installa d’office au sein de notre couple. Etant d’une nature assez conciliante, je n’y trouvai rien à redire. Enfin, au début...
Mais au bout de quelques semaines, je déclarai forfait. Car non content de manifester ouvertement sa jalousie — sa double jalousie puisqu’il éprouvait pour chacun de nous une amitié plus qu’exclusive —,Virgil cherchait sans cesse à nous prendre en défaut, au niveau des idées. Le moindre de nos propos, si anodin soit-il, était relevé, disséqué, critiqué, et débouchait sur d’horripilants ergotages. Il ne discutait pas, il accusait, son but étant de nous prouver par A+B que nous étions dans notre tort, point barre.
Certains adolescents imposent à leurs parents ce genre d’épreuve de force. Mais il avait trente ans, et nous guère plus.
Cette situation ne pouvait durer. Un jour où Sylvain s’était absenté, nous laissant tous deux en tête-à-tête, je craquai. Avec toute la diplomatie dont j’étais capable, j’expliquai à Virgil que nous avions besoin d’intimité, que 27 mètres carrés pour trois, c’était trop peu — d’autant que ma fille de six ans devait venir vivre avec nous, à la rentrée scolaire —, bref qu’il nous pompait l’air et que je souhaitais qu’il décanille
— Je n’ai rien contre toi, précisai-je hypocritement. Je te trouve très sympa, mais la cohabitation n’est plus possible. C’est une question d’espace vital, tu comprends ? Notre équilibre à tous trois en dépend.
Il ne répondit pas. Il me regardait sans broncher, comme atteint de catatonie. Et j’eus beau plaider, tempêter, supplier, faire appel à sa dignité et l’exhorter à se conduire en adulte, il resta immobile, muré dans son silence.
Je finis par le planter là et aller me coucher, en proie à une culpabilité sans nom. Lorsque Sylvain rentra, aux alentours d’onze heures, il trouva Virgil assis, tout raide, dans le noir, et moi, en larmes dans mon lit. Il lui fallut au moins deux heures de palabres pour le décider à rentrer chez lui, en banlieue, et le restant de la nuit pour me rasséréner.
Nous apprîmes par la suite que, dès le lendemain, notre « vampire » avait élu domicile chez un autre couple qui divorça l’année suivante. Depuis, j’ignore ce qu’il est devenu.
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Commentaires
1benoît barvinDimanche 4 Mars 2012 à 09:58Répondre4guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:485guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:486guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
merci pour ces petits mots quotidiens, cher frère. Et que le Très Saint Parasite vous bénisse.
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