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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 76
Beata solitudo, sola beatitudo
Après la parution, en 1989, de « Et Rose elle a vécu » (version retitrée d’ « Autopsy d’une conne ») aux éditions Denoël, deux romans et une nouvelle sont programmés l’année suivante. Ça y est (crois-je, ô naïve enfant !), j’ai enfin trouvé MON éditeur. Celui que j’attends depuis toujours. Celui qui va me prendre en charge, me servir à la fois de père, de mère, de mentor, et me hisser au firmament de la littérature. Gloria, alleluia !
Jacques Chambon, avec sa collection « Présence du fantastique », est en grande partie l’artisan de ce prodige. L’Editeur avec une majuscule a donc, pour un temps, son visage. Aussi, quand il me dit : « Ce soir, nous organisons une petite fête à l’occasion de (je ne sais plus quoi), j’espère que tu seras des nôtres », je ne me sens pas le droit de refuser. D’ailleurs, en ai-je envie ? Mon plus cher désir n’est-il pas de m’inclure dans cet univers mythique, de m’y fondre enfin corps et âme ?
Oui-da, mais encore faut-il en être capable.
A l’heure dite, je me pointe rue du Bac. La grande salle du premier étage est pleine à craquer. Des gens très à l’aise papotent, le verre à la main, se sourient et se congratulent. Il y a là le gratin des auteurs de SF qui deviendront, par la suite, mes copains. Mais pour l’heure, ce sont des inconnus. Jacques va d’un groupe à l’autre, affable, volubile. Il ne s’aperçoit même pas de ma présence, et pour cause ! je reste sur le pas de la porte, paralysée de trouille.
J’essaie de prendre sur moi, de me conditionner. « Allons allons, me dis-je, ils ne vont pas te manger. Pour une fois, cesse de jouer les pucelles effarouchées. Affronte la foule, conduis-toi en adulte ! » Que dalle, je flippe trop. Et en plus, à force de piétiner sur le seuil comme une andouille, je vais finir par me faire remarquer.
Le bureau de Jacques Chambon se trouve sur le même palier. Je m’y planque en catimini. C’est là que, venu chercher un quelconque bouquin, il me trouve une heure plus tard, plongée avec délice dans « Le nid », de Lisa Tuttle.
— Qu’est-ce que tu fiches ici ? s’étonne-t-il.
— Ben... euh... je lis.
— C’est à côté que ça se passe, t’es au courant ?
— Oui, mais je connais personne...
Avec un soupir de consternation, Jacques Chambon m’embarque. Tant pis pour lui, je lui collerai aux basques toute la soirée !
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Commentaires
1Castor tillonSamedi 3 Mars 2012 à 15:56Répondre5OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:48
On a tous connu ça à nos débuts, et ensuite on prend le truc, on virevolte d'un groupe à l'autre, on n'a plus assez de temps pour voir tout le monde... Tu vois bien : aujourd'hui, ce sont tous tes copains...
Finalement, c'est comme le jour de la rentrée dans une école inconnue où tu es la "nouvelle".6guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:487OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:488guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:489guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:4810guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:48
Détail rigolo et que tu ignores sans doute, cet appartement, Olivier l'a repris, après départ de ces locataires, et y a vécu durant pas mal d'années avec femme et enfants.
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