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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 72
Tante Arlette
Ma mère me trouvait trop câline. Dans son esprit formaté par d’austères préceptes moraux, c’était le signe d’un tempérament sensuel, voire vicieux, qu’il fallait contrer à tout prix. Elle m’interdit donc d’embrasser quiconque, fût-ce un parent proche, arguant que « ça ne se faisait pas ». (Quel âge avais-je, à cette époque ? Oh, huit ans maximum !)
Lors d’une visite à mes grands-parents, je fais la connaissance d’une tante infirmière qui vit au Congo — nommons-la Arlette, je veux pas d’histoires avec la famille. Or, cette tante se targue d’être « adorée des enfants ». C’est sa fierté, à elle, vieille fille assez repoussante. Son label affectif. A défaut de plaire aux hommes, elle séduit les gamins.
— En Afrique, dès que j’arrive dans un village, tous les petits négrillons se ruent sur moi, affirme-t-elle. C’est comme ça, je les attire. Ils sentent que je les aime et me le rendent bien.
Ce discours, je ne l’entends pas (mais il me sera répété par la suite). Roulée en boule sur le canapé, je lis les « Bécassine » de ma grand-mère sans prêter attention à la conversation. Maman en conclut, à juste titre, que j’ai sommeil. Nous nous sommes levés si tôt, ce matin !
— Va faire une petite sieste dans la chambre d’amis, me conseille-t-elle.
— Bonne idée, s’écrie tante Arlette. Je vais l’accompagner, je suis un peu fatiguée, moi aussi.
On monte, elle se couche dans le grand lit, moi dans le petit, et je m’endors aussitôt. À mon réveil, elle n’est plus là.
Quand je suis redescendue, la famile prenait le thé. J’ai tout de suite remarqué le regard noir de ma mère, mais comme je n’avais rien à me reprocher, je n’ai pas réalisé qu’il m’était destiné. Ce n’est qu’au retour que j’ai eu droit à l’engueulade.
La tante s’était vantée de m’avoir « apprivoisée ».
— Cette petite si distante, si réservée, s’est lâchée, une fois seule avec moi, a-t-elle prétendu. Elle m’a cajolée, embrassée... Vous voyez bien qu’aucun enfant ne me résiste !
C’était un mensonge, je le clame haut et fort. Je ne lui avais même pas adressé la parole. Pourtant, c’est moi qu’on a traitée de menteuse.
Bien des années plus tard, j’ai demandé des comptes à tante Arlette. Elle ne se souvenait plus du tout de l’incident.
— Mais si je l’ai dit, c’est que c’était vrai, a-t-elle conclu, péremptoire. Il n’y a aucun doute là-dessus !
Révisionniste, va !
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Commentaires
1benoît barvinMardi 28 Février 2012 à 08:10Répondre
Mais, c'est vrai, certains mots, aujourd'hui, même sur le mode du déconomêtre, ça passe plus. Tu as certainement remarqué, en tant qu'écrivain, que le dictionnaire se fait amputer, par la société civile - et/ou médiatique - de certains substantifs, ou, du moins, que ceux-ci sont frappés du sceau de l’infâmie. Et plus possible de les utiliser simplement... Je me rappelle du "regrattier juif" de Jean Ray et de son effacement, dans le texte réédité, par les tenants du politiquement correct. Effacer les traces du racisme et de l'antisémitisme dans les textes du XVIIIème, du XIXème, du XXème... Pourquoi pas? Effaçons, effaçons, cela permettra ainsi aux fatidiques pensées de renaître, plus fortes encore...
Une fois encore, je "jouais" avec le mot... Honte à moi, je ne le ferai plus. Tante Arlette, je t'aime!5guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:496guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:497OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:49
Quand même, pauvre tante Arlette ! Si ça se trouve, les négrillons lui jetaient des pierres...8guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:499guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:49
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