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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 70
Journal intime
Vous l’aurez compris : je suis menteuse. Je l’ai toujours été. Comme disait la grande Colette : « Si je ne mentais pas, je n’aurais jamais écrit ». Ces mensonge étaient, au cours de mon adolescence, d’autant plus nécessaires que mes parents me surveillaient de près. Leurs préjugés – essentiellement d’ordre sexuel — auraient fait de moi une sorte de nonne recluse si je n’avais pas trouvé d’astuces pour les déjouer. Encore une citation ? Allez, encore une, au diable l'avarice : « Si vous voulez donner de l’esprit à la plus sage, enfermez-là ! » (Molière, Les femmes savantes, je crois).
Or donc, en dépit de leur vigilance, je « fréquentais » un garçon. Il avait quinze ans et demi, moi seize, et nous nous rencontrions le matin, avant les cours (nous étions tout deux dans des collèges non mixtes, mais voisins). Question timing, c’était parfait. Mes parents, qui allaient tous les jours à la messe de 7h30, partaient quand mon réveil sonnait et rentraient juste après mon départ. Cela me laissait, en gros, une heure de battement pour conter fleurette. Quand j’entendais le claquement de la porte d’entrée, je déboulais de ma chambre, prête de pied en cap, embarquais mon p’tit déj’ dans un sac en plastique et filais retrouver Philippe dans le parc à côté, désert à cette heure matinale.
Nous nous embrassions, en regardant les canards s’ébattre dans l’étang. C’était follement bucolique et d’une sagesse extrême.
Or, un jour, pour une raison que j’ignore, maman quitta l’office plus tôt que prévu. Ne me trouvant pas à la maison, elle s’étonna d’abord, puis, comme elle était soupçonneuse par nature, se mit à gamberger. De sorte que, quand je revins à quatre heures et demie, j’eus droit à un interrogatoire serré. J’expliquai tant bien que mal que j’étais partie en avance pour réviser mes maths avec ma copine Claire, mais elle ne me crut pas. Et, en dernier recours, exigea :
— Montre-moi ton journal intime : lui, au moins, me dira la vérité.
Je refusai catégoriquement. Mon journal intime, comme son nom l’indiquait, était vraiment intime. J’y racontais non seulement mes turpitudes (réelles ou rêvées), mais j’y vitupérais contre mes parents, les profs, la société et tout le toutime. Ce n’était pas une lecture à mettre entre toutes les mains, surtout pas celles de l’Autorité suprême.
— Tu vois bien que tu as des choses à cacher ! triompha ma mère.
Le soir, seule dans ma chambre, je réfléchis. Et me vint une idée : si je fabriquais un faux journal intime, histoire de la calmer ?
J’y passai la nuit. Dans un joli cahier tout neuf, je rédigeai un vrai journal d’enfant de Marie, à la fois si clean et si spontané que n’importe qui s’y serait laissé prendre.
Le lendemain matin, après une heure ou deux de sommeil, je n’étais pas fraîche-fraîche.
— Tiens, crachai-je à ma mère en lui tendant la chose. Mais je te préviens, je ne te le pardonnerai jamais. Je trouve ça dégueulase de ta part, de vouloir connaître tous mes secrets. C’est comme une sorte de viol !
Très digne, elle repoussa le cahier :
—Remporte-le, je sais ce que je voulais savoir. Puisque tu es d’accord pour que je le lise, c’est que tu n’as rien à cacher.
Oh, bordel ! Tout ce travail pour rien...
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Commentaires
1benoît barvinDimanche 26 Février 2012 à 08:37Répondre
Sinon, en gros, j'aurais dit comme Benoît : ça n'a été un pensum que parce qu'il a fallu speeder.
Du coup, l'amourette est tombée à l'eau, je suppose.5guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:496guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:497OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:498guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:49
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