• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 7

    La chambre maudite

    À l’occasion du prix décerné à l’un de mes livres par les écoliers de la région, j’étais invitée dans une petite ville de Normandie. Contrairement à ce qui se fait d'habitude, les organisateurs ne m'avaient pas réservé de chambre d'hôtel : Liliane B., la bibliothécaire, possédait une immense maison et ne demandait qu'à m'héberger.

             D'ordinaire, lorsqu'on me propose de loger chez l'habitant, je tire la tronche. Après une journée de représentation devant ces chères têtes blondes, le soir, je n'ai qu'une envie : être seule et me taire. Mais cette fois, c'est différent : Liliane et son mari me sont très sympathiques et ont, de surcroît, une petite fille adorable et une chienne qui ne l'est pas moins. Soirée agréable, donc. Nous bavardons devant un feu de bois en buvant du ti punch, puis chacun se couche. Très tard.

             La chambre d'amis que l'on met à ma disposition est dans une aile isolée du bâtiment. Elle est divisée en deux par un rideau. D'un côté, le lit de la belle-mère, absente pour quelques jours, recouvert d'un grand châle en dentelle blanche, de l'autre, celui destiné aux invités de passage — le mien.

             Au milieu de la nuit, une furieuse envie de pisser me réveille. Et là, big problème : où sont les toilettes ? Liliane me les a pourtant montrées hier soir...  J'entrouvre ma porte et la referme aussitôt, désorientée par ce palier et ces escaliers que je ne connais pas, les grands couloirs glacés de cette vieille demeure où je suis sûre de me paumer. D'ailleurs, je ne sais même pas où se trouve le bouton électrique.

             Je me recouche, essayant vainement de faire le vide dans mon esprit et de me rendormir. Impossible, avec cette vessie pleine à craquer... 

             Soudain, idée ! Près du lit de la belle-mère, il y a un lavabo. Et sous ce lavabo, il me semble avoir aperçu une sorte de cache-pot. A la lueur de ma lampe de chevet, je vais vérifier. Le rideau atténue la lumière, plongeant ce côté de la grande pièce dans la pénombre. Cela ne m'empêche pas de repérer le providentiel récipient. À tâtons, je l'extirpe de son rabicoin, m'accroupis dessus et me soulage avec une joie intense.

             Soudain, horreur ! je sens un liquide chaud se répandre sur mes pieds nus. Le cache-pot est percé de multiples troutrous que je n'avais pas remarqués. Sur le parquet ciré s'étale une mare gigantesque.

             Paniquée, je tâte autour de moi. Les dégâts sont encore pire que ce que je redoutais. La pièce ayant une légère pente, le pipi coule sous le lit de la belle-mère. Les franges de châle sont déjà imbibées, et l'humidité remonte sur cinq centimètres au moins. En plus, ça sent...

             Que faire ? Je cherche avec affolement quelque chose, n'importe quoi, pour éponger. J'ai une jolie écharpe orientale, cadeau de mon fils aîné pour mon anniversaire ; elle va me servir de serpillière. J'essuie, je tords dans le lavabo, j'essuie, je tords, j'essuie, je tords. Mais l'écharpe est trop neuve pour absorber correctement l’urine, inutile d'espérer sécher le sol. Après moult efforts, je finis par renoncer et laisse tout en plan pour me refourrer frileusement sous ma couette où, tout honte bue, je me rendors.

             Le lendemain, j'ai quitté au plus tôt cette chambre maudite, espérant que mes hôtes n'y mettraient pas les pieds avant plusieurs jours. D'ici là, l'odeur aurait peut-être eu le temps de s'évaporer.

             À moins qu'ils ne soupçonnent la chienne ?

             Pauvre bête, tu me dois peut-être une injuste correction ! La vie est mal faite.

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 25 Décembre 2011 à 12:33
    Castor tillon
    Après avoir lu les six épisodes précédents, je pensais que rien de pire ne pouvait arriver. Je me trompais lourdement : les sottises continuent.
    Avec un petit satisfecit pour celui-ci, pour les dégâts matériels.
    C'est pas de la méchanceté, hein, mais je te souhaite encore plein de belles aventures similaires pour notre fou-rire du matin !
    2
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    Gudule
    T'inquiète, j'en ai encore une tripotée ! De vraies conneries pur jus, juré craché !
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