• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 69

    La belle histoire d’une merde

      En septembre 2001 paraît, chez Flammarion, un livre pour ados intitulé « Regardez-moi ». Il est inspiré de l’émission « Loft strory », qui sévit alors à la télévision. En gros, une collégienne de 14 ans expérimente la joie, puis l’horreur, d’être filmée vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

             Or, bien que mon manuscrit ait été accepté par l’éditrice, celle-ci — ou une de ses collègues ; elles sévissent toujours à plusieurs, dans la littérature pour la jeunesse — s’autorise à changer l’âge de mon héroïne. Elle aura 16 ans et sera au lycée. Cette décision, je le précise, est prise à mon insu car je suis en vacances. A mon retour, le livre est paru, sans relecture de ma part (ce qui, déjà, est une ineptie — et, en tout état de cause, une faute professionnnelle).

             Le résultat dépasse l’entendement:. On annonce à la première page que l’héroïne est en seconde, mais à la page 16, elle se retrouve en quatrième (distraction du correcteur ?). Tous les critères scolaires : cantine, relations avec les profs, nature des cours, préoccupations des élèves, sont, à l’évidence, ceux du collège. Bref, mon livre a perdu toute crédibilité.

             Je saute sur mon téléphone et braille comme une truie qu’on égorge. C’est ma réputation qui est en jeu ! Il faut pilonner le premier tirage !

              — Que nenni, me répond aimablement la directrice de collection. Il y a eu des erreurs, certes, et nous en sommes navrées. Une stagiaire, engagée pour l’été, a outrepassé ses droits... Mais ne vous tracassez pas, avec un erratum joint à chaque exemplaire, tout rentrera dans l’ordre.

             Ainsi fut fait.

             À mon grand dam.

             L’erratum prenait une demi-page...

             Et savez-vous quelle fut la réaction des jeunes lecteurs ?

             — Pfff, elle est en seconde, cette gourdasse ? C'est une attardée mentale ou quoi ?

              Eh oui ! Avec un bon sens qui les honore, les fautes, ils s’en foutaient, mais les incohérences psychologiques de cette préado arbitrairement promue lycéenne les choquait. Ils en ont donc conlu que ce livre était une merde, et ils ont eu raison. 

            Par la suite, Flammarion a ressorti « Regardez-moi » tel que je l’avais conçu, sans modification aucune. Il a très bien marché et en est aujourd’hui à sa cinquième réédition. 


    « GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 68GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 70 »

  • Commentaires

    1
    Samedi 25 Février 2012 à 14:53
    Castor tillon
    Effectivement, quand on relève des incohérences pareilles dans un bouquin, c'est un coup à te saborder une carrière ça. Quand on pense à tout le travail de documentation auquel s'astreint tout écrivain sérieux, il y a de quoi être dégoûté. Ils ont eu de la chance que tu ne sois pas procédurière, d'autres ne se seraient pas gênés pour aller en justice.
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    Mercredi 29 Février 2012 à 20:15
    Cécile
    Les éditeurs, certains, se croient tout permis ! Et c'est vrai, ils ont vraiment un problème avec les catégories d'âges !!! un album pour les 3 ans avec des phrases si longues qu'on n'arrive pas à prendre notre souffle quand on la lit ! et bien d'autres cas...
    Un jour j'ai lu un bon livre pour ado, une histoire d'amitié, de forêt, de famille... je l'ai lu d'une traite et puis vers la fin, le nom du personnage principal change ! j'ai trouvé le blog de l'auteur, lui ai fait part de ma remarque et m'a avoué que c'est l'éditeur qui a changé le nom de son personnage et a oublié visiblement la correction à la fin... l'éditeur, lui, ne m'a jamais répondu !
    3
    Dina l
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Dina															l
    Mais c'est fou ça ! Comment peut-on se permettre de transformer un élement si important d'un ouvrage ?! Et sans en prévenir l'auteure en plus ! Evidemment qu'il y a des dérapages après... J'aurais été folle de rage

    Pourquoi ont-elles décidé que l'héroine devait avoir 16 et non 14 ans ? Ce qui lui arrivait était trop pour une jeune fille de son âge ?
    4
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    C'est, en tout cas, ce qu'a estimé la personne qui a pris cette décision. Les éditeurs ont souvent un problème avec le positionnement des âges. Ils ont peur des réactions des parents et des enseignants, et ne font pas confiance aux auteurs (à moi, en tout cas, mais je ne pense pas être une exception). Dans ce cas précis, il s'agissait à l'évidence d'une débutante, pétrie de préjugés et n'ayant aucune expérience sur le terrain. L'erreur de la maison d'édition a été de lui confier trop de responsabilités. D'ailleurs, les responsables l'ont reconnu, et une fois le premier tirage épuisé, ont rétabli le manuscrit dans son intégrité. Il n'empêche que quelque cinq mille ouvrages truffés de fautes ont été lancés dans la nature...
    5
    Pierre
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Pierre
    J'adore tes moments de solitude car on en apprend toujours un peu plus sur l'envers du décor (loin d'être aussi gratifiant qu'il n'y parait). Par contre vu comment tu fustiges les maisons d'édition je doute qu'ils te laisse un jour éditer ces moments de solitude :)

    Sinon un grand bravo pour tes romans destinés aux adolescent qui sont très matures (Sida, TV réalité, etc.), qui à mon avis doivent faire prendre conscience aux adolescents de beaucoup de choses.

    Sinon pour rester dans la thématique, je vous conseille de lire le au combien incroyable "1984" de George Orwell, parlant d'un régime totalitaire, où toute personnes est surveillé. L'avant Big Brother, alias Loft Story chez nous.
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Big Brother est plus que jamais d'actualité, avec les fuites sur facebook, les fichiers de polices recoupés, les caméra de surveillances qui se multiplient, et la complaisance béate des populations face aux restrictions hystériques de nos libertés.
    Sinon, pour en revenir aux Moments de solitude, je pense que la plupart des éditeurs se contrefichent de me voir dénoncer les exactions de leurs collègues. En plus, ils ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Il y a des gens formidables, surtout dans les petites maisons d'édition indépendantes qui permettent aux jeunes auteurs d'émerger. ce sont eux, les viviers culturels !
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    C'est assez courant, ce genre de chose. Un jour, un de mes copains écrivain me fait envoyer son dernier livre. J'y décèle tant d'incohérences que je lui téléphone pour lui demander ce qui s'est passé. De telles erreurs ne lui ressemblent pas. "Ce sont les corrections de V., me dit-il. Elle a passé mon texte au rouleau compresseur. J'étais malade, je n'ai pas eu la force de me bagarrer, et tu vois le résultat ?". Il est mort quelques mois plus tard (il avait un cancer), en laissant le souvenir d'un écrivain incapable de maîtriser son texte. Dur, non ?
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :