-
grands moments de solitude 67 (tome 2)
Le nom des gens
Notre administration est la plus simple du monde. Surtout en ce qui concerne l’accueil des étrangers. Prenons une famille libanaise, par exemple. Suite à la guerre de 1975, un père et ses trois fils immigrent en France, où vivent déjà une grande partie de leurs proches. Quelques années plus tard, ayant travaillé, consommé, procréé, payé des impôts — bref rempli leurs devoirs de citoyens modèles —, ils obtiennent la nationalité française, et c’est là que tout se complique. Leur nom d’origine étant El-Khouri (Le Médecin, en arabe) , l’employé de la Préfecture orthographie correctement celui du père, traduit au préalable par un interprète assermenté. En revanche, son fils aîné devient Elkouri, le second Elkourry et le troisième, allez savoir pourquoi, Elcourin. Et comme ils protestent, on leur rétorque que s’ils ne sont pas contents, ils peuvent toujours rentrer dans leur pays. Toute négociation s’avérant impossible, force leur est donc d’accepter cette dépossession d’eux-mêmes arbitraire (et stupide), et de se contenter des identités disparates qu’on leur a imposées. Une chance qu’il n’y ait pas eu d’héritage à la clé, parce que ça aurait foutu une sacrée merde, vous pouvez me croire ! Faut dire que les immigrés sont rarement fortunés…
Deux des fils, par la suite, devinrent célèbres, l’un comme musicien, l’autre en tant qu’écrivain ; mais tous deux sous pseudo. Quant au troisième, ayant terminé ses études de médecine, il ouvrit un cabinet de soins d’urgence à Barbès, où tout le monde continua à l’appeler el- Khoury — ce qui, heureusement, lui mit du baume au cœur.
-
Commentaires
1Castor tillonLundi 18 Août 2014 à 02:43Répondre
Ajouter un commentaire