• grands moments de solitude 64 (tome 2)

                                             Des souris et des femmes (ter)


               La mère d’Alex habitait un charmant studio , rue de la Roquette. Durant un bref séjour à l’hôpital, elle l’avait prêté à Mélanie (17 ans), qui raffolait de ces vingt-cinq mètres carrés (avec balcon), donnant sur le Père-Lachaise, d’une part, et sur une cour parisienne plantée d’arbres, de l’autre. Or, ce studio était « hanté ». La nuit, on y entendait, des bruits bizarres : frôlements, soupirs, couinements, course furtive.  De temps en temps, la chute d’un objet nous réveillait en sursaut. Et, le matin, de minuscules traces de sang souillaient parfois le bout de nos doigts ou de nos orteils.

               — Le fantôme est encore passé, disait en riant Mélanie. Regarde, il m’a mordu l’index !

               Mis à part ces petits incidents nocturnes, leur cohabitation se déroulait sans heurts. Il eût fallu bien davantage qu’un simple fantôme pour perturber ma fille !

               Ce fantôme, cependant, n’en était pas un, mais une souris blanche, échappée sans doute d’un logement voisin, qui avait élu domicile dans le tiroir à biscottes de la têta*.

               Le jour où Mélanie découvrit le pot-aux roses fut le premier d’une grande histoire d’amour. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, Biscotte devint à la fois sa mascotte, sa compagne, sa muse, sa confidente, et sa partenaire favorite en grignotage de chamallows ou de pop-corn.

               Puis, un jour, la têta revint. Connaissant son aversion pour les rongeurs, Mélanie lui cacha, autant que faire se pouvait, sa nouvelle colocataire. Elle tenta même de l’emmener chez nous ; en vain. Biscotte avait ses planques, et dès qu’on cherchait à la capturer, devenait, au sens propre du terme « une souris fantôme ». De sorte que ma fille, la mort dans l’âme, fut bien obligée de l’abandonner à son sort.

               — Je lui fais confiance, disait-elle, cependant. Elle est maligne, elle s’en tirera toujours. D’autant que Têta ne voit plus grand-chose, et je l’imagine mal coursant une souris !

     

               Elle avait tort. Si Têta ne coursa pas la souris, elle s’adressa, en revanche, à une entreprise de dératisation,

               — Comme ça, l’appartement sera clean pour te recevoir, annonça-t-elle à Mélanie, un beau matin. Je te l’avais promis, tu t’en souviens ?

               Et de préciser, toute rayonnante d’amour grand-maternel :

               — J’ai transféré le bail en ton nom pour qu’il n’y ait pas d’embrouille avec le propriétaire, et j’ai payé six mois de loyer d’avance. Désormais, te voilà « dans tes murs » .

               — Et toi ?

               — Je retourne au Liban vivre auprès de ma sœur. Tu es contente, chérie ?

               En guise de remerciements, ma fille fondit en larmes. Car ce qu’elle aimait surtout, dans ce studio, c’était Biscotte. 

     

                                                  *têta : grand-mère (en arabe)

              

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 14 Août 2014 à 23:54
    melaka
    Rhooooo Biscotte
    2
    Vendredi 15 Août 2014 à 00:36
    Castor tillon
    J'ai une grande tendresse pour ces petits mollusques depuis que j'ai lu "Moustache et Trottinette", de Calvo.
    3
    Vendredi 15 Août 2014 à 07:05
    Gudule
    nous avions les mêmes lectures... je suis tout attendrie
    4
    Mercredi 20 Août 2014 à 13:36
    Pata
    "Princesse Sarah" aussi, donne l'amour des souris...

    Mais c'est un peu moins classe comme référence !
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