• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 63

    Un peu de douceur dans un monde de brutes

      Montreuil 1993. Je hais les salons. Trop de monde, trop de bruit, trop d’inconnus. Je me sens en-dehors de la fourmilière et c’est très douloureux. D’autant que je suis fragilisée par des refus à répétition — y compris de Jacques Chambon qui publie en priorité des auteurs américains. Mais bon, si je veux percer un jour, faut que je fasse un effort. Que je sorte de mon trou...

             Je rôde comme une âme en peine dans les allées bondées quand j’aperçois, ô joie, le stand Syros. Cette maison d’édition, qui vient d’accepter mon roman « A la folie » est, actuellement, ma seule perspective éditoriale. Elle incarne tous mes espoirs présents et à venir. Je m’y réfugie donc comme le naufragé sur son île déserte.

             A mon grand désappointement, Virginie L., mon éditrice, n’est pas là. Je feins de m’intéresser aux livres exposés, histoire de me donner un semblant de contenance, quand une dame en robe de vinyle noir s’approche de moi.

             — Vous êtes Gudule ?

             J’acquiesce, toute contente d’être reconnue par quelqu’un. Elle se présente, Antoinette R. , la nouvelle directrice, et m’assène, de but en blanc :

             — J’ai lu votre manuscrit, il est très mauvais. Vous n’êtes pas faite pour écrire des romans. Des petits albums, peut-être, mais pas de longs textes. C’est dans votre intérêt que je vous dis ça !

             Sous l’impact, je manque de tomber à la renverse.

             — Mais... Virginie l’a beaucoup aimé...

             — Virginie ne fait plus partie de la maison.

             D’un coup, l’atmosphère du salon est devenue irrespirable. Il faut que je sorte d’ici, tout de suite ! De l’air ! J’étouffe ! Je tourne les talons et fends la foule en direction de la sortie.

             Par chance, en chemin, je tombe sur mon vieux pote Siné. Enfin, un peu de douceur dans ce monde de brutes ! Du coup, je craque et fonds en larmes dans ses bras. ­Il a le bon réflexe : il m’emmène boire un coup. De ça, je lui serai toujours reconnaissante...


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 19 Février 2012 à 08:10
    benoît barvin
    Ah, tous ces gens-foutre (comment on dit pour une dame?) qui, vous regardant droit dans les yeux - ou pas - vous assènent leur vérité: "t'es pas fait pour ça, coco, ne t'acharne pas!"... On a bien raison de ne jamais les écouter et d'abandonner leur conseil de laisser tomber sur l'autel de notre déraison (ouah...)
    2
    Dimanche 19 Février 2012 à 12:05
    cali rezo
    hélas ce genre de souvenirs me rappelle certains moments de ma vie aussi... ):
    3
    Dimanche 19 Février 2012 à 13:16
    Amanda Hinault
    Plus je lis tes petites histoires et plus je pense que le monde de l'édition est un panier de crabe auxquels les auteurs sont obligés de faire des courbettes et des galipettes (le premier sens du mot ^^). Détestable environnement que tu as beaucoup de courage à d'affronter et heureusement que tu as des amis comme Siné ;)
    4
    Dimanche 19 Février 2012 à 18:13
    Castor tillon
    Nous qui te lisons, sommes ravis de constater que cette femme s'est fourrée le doigt dans l'oeil. Mais plus vraisemblablement, il y a eu une castagne entre les deux éditrices, et elle a pris plaisir à casser le poulain de sa rivale. Sinon, son attitude est incompréhensible, d'autant plus qu'elle a apprécié ton travail par la suite.
    Quoi qu'il en soit, son comportement est odieux, et c'est par la faute de gens comme elle que des écrivains de talent ne seront peut-être jamais révélés. Ce n'est pas ton cas heureusement. Tu es reconnue, non par des médiocres, mais par des lecteurs enthousiastes qui savent reconnaître quand on leur présente une histoire bien ficelée et passionnante. De plus, ta popularité et ton lectorat, contrairement à la longévité des éditeurs, vont croissants, et si quelqu'un laisse une trace dans l'histoire de la littérature française, c'est bien toi.
    Donc : haut les coeurs !
    5
    Dimanche 19 Février 2012 à 18:57
    Castor tillon
    Tout en reconnaissant ton travail et sans te connaître, elle t'a incluse dans sa petite guerre à elle perso. C'est indigne, voui madame, une écrivaine ne doit pas avoir peur des mots !
    6
    Dimanche 19 Février 2012 à 19:22
    Castor tillon
    Ce que je veux dire, c'est que même à l'époque, ton travail était bon, et en tant qu'éditrice, elle ne pouvait pas l'ignorer. Après, elle a dû avoir les boules, c'est sûr.
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    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Nous connaissons tous ça, les briseurs de reins, le fesseurs frénétiques, qui vous donnent envie de tout faire sauf écrire ! Je sais que tu en as eu ta part aussi... Mais le plus beau, c'est que cette dame-là m'a poursuivie tout au long de ma carrière. Quand elle est devenue grande directrice chez Hachette, où je publiais alors énormément, elle a fait mine de pas me reconnaître. Personnellement, je veux dire ; en revanche, elle appréciait ait beaucoup mon travail, si, si. Et après tout, peut-être, contrairement à moi, avait-elle réellement oublié l'incident de Montreuil. C'est si anodin de casser les dents à un auteur inconnu, n'est-ce pas ...
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Terrifiant, hein ! De quel droit une personne — généralement sans talent elle-même, mais ayant accédé à un poste de pouvoir — ose-t-elle se permettre de juger notre travail ? Ou on a affaire à de fieffés imbéciles, ou à des gens hautement imbus de leur savoir (ce qui, somme toute, revient au même). En tout cas, ce n'est pas ce genre de gens qui fait avancer les choses, et leur intervention laisse de sales cicatrices !
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Je t'avoue que du courage, j'en ai de moins en moins. D'autant que tous les "vrais" éditeurs qui m'ont portée ont disparu : Jacques Chambon, Jean Rollin, Laurent David, Marielle gens... Des gens cultivés, et avec suffisamment de charisme pour promouvoir les auteurs qu'ils aimaient, en dépit des exigences souvent aberrante de leur hiérarchie. Il en reste un, chez Plon, mais hélas, la maison d'édition semble vouloir fermer le secteur jeunesse. Et moi, je suis fatiguée de me battre...
    10
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    Mais en 1993, tu n'étais pas une inconnue quand même !

    Sur le milieu de l'édition, il ne faut pas être trop manichéen, je crois. Il y a de bons éditeurs ! Il y en a aussi de bons qui parfois se trompent. Et c'est sûr que le niveau a baissé ces dernières années...
    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Bof, en 93, qu'avais-je publié ? Une dizaine de bouquins, au plus. Et chez des éditeurs où je n'avais plus ma place : Denoël, Hachette... Mais tu sais aussi bien que moi qu'il en faut plus pour "être sûr de soi, quand ce n'est pas dans votre caractère !
    Bien sûr qu'il y a d'admirables éditeurs. D'ailleurs, c'est à la suite de cet épisode que j'ai rencontré le merveilleux Laurent David, qui m'a publié "La vie à reculons", "La Bibliothécaire" et "L'envers du décor". Mes plus gros succès... Laurent David est le seul éditeur qui m'ait fait mes contrats AVANT que j'aie écrit les livres - alors que j'étais débutante. Ce n'est plus jamais arrivé depuis !
    12
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Eh, ho ! Gaffe à mon égo, saperlipopette ! Non mais sans blague, à force de le gonfler, il va finir par éclater comme une baudruche (car que sont les égos sinon des baudruches, peux-tu me le dire ?)
    Ceci dit, effectivement, elle m'a cassée parce que j'étais la pouliche (!) de Virginie qu'elle avait salement virée, je l'ai sur par la suite de le bouche même de la victime. N'empêche que, pour quelque raison que ce soit, prendre les gens en otage, c'est assez crade, je trouve. Je dirais même indigne, tiens, n'ayons pas peur des mots !
    13
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Non mais attends, mon travail, elle l'a reconnu des années plus tard, quand elle est passée chez Hachette. J'avais à l'époque une bonne cinquantaine de bouquins "en activité" dans cette maison d'édition, dont trois gros succès ! Là, elle ne pouvait plus rien contre moi. Mais lors de notre première rencontre, j'étais une débutante fragile et pas sûre d'elle. J'aurais très bien pu mettre la clé sous la porte, après ça. Je connais des auteurs qui l'ont fait !
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