• grands moments de solitude 60 (tome 2)

                                     Règlement de contes

     

    Parlez-moi donc de la clairvoyance des mères !

    La mienne, réfractaire à toute forme de sensualité, tant par principe que par tempérament, supportait mal mon romantisme exacerbé. Afin de me garder dans le droit chemin, elle éloignait de moi ce qu’elle nommait « les tentations », m’interdisant — entre autres — d’écouter les chansons de la radio (que j’adorais).

    — Ces sottises te font tourner la tête, prétextait-elle.

    Elle surveillait également mes lectures, ne m’autorisant que des livres édifiants, dépourvus de la moindre allusion charnelle. Quant aux films, je n’avais droit qu’à ceux autorisés par  l’office chrétien du cinéma, et encore ! sous son chaperonnage intensif.  (je crois avoir raconté dans une autre Solitude comment, à chaque baiser échangé sur l’écran, un coup de coude maternel me rappelait à l’ordre, afin que je détourne pudiquement la tête.)

    Par chance,  il y avait Marraine. 

    Marraine était ma grande cousine. Elle avait quinze ans de plus que moi, et c’était une conteuse hors-pair. Je pouvais l’écouter durant des heures improviser des sagas médiévales remplies de duels, de tournois, d’enchanteurs, de dragons, et  de princesses captives, délivrées par d’ardents chevaliers. Ces récits nourrissaient mes rêves et comblaient mes pulsions romanesques.

     Jusqu’au jour où, rattrapée par ma nature profonde, je voulus découvrir «  en vrai »  ce qui n’était encore qu’une vue de l’esprit. S’ensuivit, comme de juste, un petit ventre rond qui valut à Marraine l’engueulade de sa vie.

     — Tout est ta faute, vitupérait ma mère. Tu as saboté mon éducation en confortant ma fille dans ses lubies, au lieu de les lui extirper du crâne. C’est à cause de tes stupides histoires qu’elle a cédé à ses penchants malsains. Et voilà le résultat !

     Ma pauvre Marraine eut du mal à se remettre de ces accusations. Et pourtant… Ce sont ses histoires qui, en formatant mon imagination, m’ont  permis d’entrer en littérature, et d’y faire carrière durant plus de quarante ans ; ce sont ses histoires qui, en ouvrant mon cœur aux délices de l’amour, ont transformé ma vie en une succession d’instants magiques, et ce, jusqu’à la fin, puisqu’une romance de conte de fées  ensoleille à présent mes dernières années.

    N‘en déplaise à maman, si j’avais suivi ses préceptes plutôt que de savourer les belles histoires de Marraine, je serais  sans doute aussi aigrie qu’elle, et j’aurais perdu ma faculté de rire de tout — même de la mort.

    Merci, Marraine !

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 11 Août 2014 à 00:53
    Annie GH
    ta marraine, c'était la bonne fée des contes pour enfants… Peuax d'Âne, par exemple…
    Je vais finir par croire à leur existence !!!
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    2
    Lundi 11 Août 2014 à 01:22
    Gudule
    je l'ai toujours pensé, Annie. D'ailleurs, je lui ai dédié mes "Contes et légendes des fées et des princesses : "A ma Marraine, la bonne fée de mon enfance"
    3
    Lundi 11 Août 2014 à 04:30
    Castor tillon
    La marâtre, la marraine, et Sans-Graillon. Où sont Javotte et Anastasie ?
    4
    Lundi 11 Août 2014 à 05:35
    Gudule
    ah non, pas tout confondre : les vilaines femmes et les gentilles, les fées et les sorcières... sinon, à quoi ça servirait que Gudule elle se décarcasse ?
    5
    Vendredi 15 Août 2014 à 12:46
    Pata
    Une marraine, échappée belle, c'est le meilleur remède à une maman étouffante !

    Et sous le reproche, je pense que ta mère en avait conscience quand même !
    6
    Vendredi 15 Août 2014 à 17:08
    Gudule
    va savoir, Pata... Avec ces êtres de certitude, on ne peut jamais être sûr de rien !
    7
    Mercredi 20 Août 2014 à 13:29
    Pata
    Ils offrent un joli paradoxe, ces gens pleins de certitudes dont on n'est jamais sûr !
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