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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 60
Les moutons noirs
Tante Bernadette était le mouton noir de la famille — il en faut. Après avoir mené, durant près de cinquante ans, une vie de bâton de chaise, voilà qu’elle se piquait de littérature. Et qu’écrivait-elle ? Des cochoncetés, évidemment !
Je n’oublierai jamais le jour où son bouquin, paru à compte d’auteur, arriva chez nous par la poste. Toutes affaires cessantes, mon père le parcourut — du moins jusqu’au chapitre 6, qui le fit sortir de ses gonds. Il s’empressa d’appeler l’aînée de ses sœurs, religieuse de son état, pour la mettre au courant des exactions de leur cadette. Et, afin d’étayer ses propos, il lui lut au téléphone le passage litigieux — une scène de dépucelage d’une vingtaine de lignes, suggérée plutôt que décrite, et usant de métaphores poétiques au détriment du terme cru.
Ce qu’ignorait papa, obnubilé par sa sainte colère, c’est que je l’écoutais. La porte de ma chambre donnant sur le palier où se trouvait le téléphone, j’y avais collé l’oreille, intriguée par ses cris. Je pris donc connaissance, en même temps que sa frangine, de ce qu’il dénonçait.
Perso, je n’y trouvai rien à redire. J’avais treize ans et lisais en secret Malraux, Appolinaire et Blaise Cendrars, à côté desquels tante Bernadette, toute dépravée qu’elle soit, faisait figure d’enfant de Marie. Cependant, je me gardai bien de donner mon opinion. Enfin, ce jour-là. Mais une semaine plus tard, comme l’infâme opuscule revenait sur le tapis, je ne pus m’empêcher de remarquer :
— Franchement, je ne vois pas ce qui a pu te choquer...
S’ensuivit un déferlement de questions, accusations, reproches et hurlements qui me fit aussitôt battre en retraite, et eut deux conséquences immédiates : 1) Papa brûla le dangereux ouvrage qui « avait déjà fait assez de dégâts comme ça » 2) Il écrivit une lettre bien sentie à son auteure, lui reprochant, outre de salir leur nom par ses insanités, d’avoir également perverti sa nièce. La missive s’achevait par cette phrase assassine : « Si ma fille tourne mal, je t’en tiendrai personnellement pour responsable. »
Face à cette avalanche de reproches, ma tante ne récidiva pas. Ainsi tue-t-on dans l’œuf une Barbara Cartland.
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Commentaires
2OdomarVendredi 29 Août 2014 à 13:49
Pour ma part, n'ayant pas de tante sulfureuse (elles étaient quasiment toutes religieuses !) c'est l'emprunt d'un roman de La Varende ("Nez de cuir") à la bibliothèque de l'école qui, repéré par ma mère, fut solennellement rapporté par celle-ci en raison de quelques passages vaguement égrillards. Il a au moins échappé à l'autodafé...3guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:494guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:495marion vieille adoleVendredi 29 Août 2014 à 13:49
je n 'ai pas trop le temps de lire mais vos romans m'ont touchés quand j 'étais au collège et je pense qu'après harry potter c'est bien votre libre qui est paru avec un numéro d 'okapi qui m ont donné gout à la lecture ...6guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:49
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Je suis consterné pour vous, vraiment.