• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 59

    Mata-Hari

       Bruxelles, 1964. Je fais des galipetttes avec mon relieur, vous vous souvenez ?  Comme il habite à cinq cents mètres de la maison, et a déjà eu des démêlées avec les flics pour détournement de mineures, j’ai intérêt à me méfier. Pas question que les voisins me voient entrer chez lui. Je n’ose imaginer la tête de mes parents, commerçant honorablement connus dans le quartier, s’ils avaient vent de ma conduite !

             Je mets donc au point un statagème digne de Mata-Hari.

             À cette époque, bien qu’âgée de dix-sept ans, j’en parais à peine douze. Petite, maigrichoune, les cheveux coupés à la garçonne, pas de seins, pas de hanches, vous voyez le genre ?  Pour passer inaperçue, il me suffit de me déguiser en femme. Dans un grand sac, j’embarque les accessoires de ma métamorphose : talons aiguilles, foulard, une pelote de ficelle en guise de chignon (c’est la mode des « tomates » sur le sommet du crâne, avec le foulard par-dessus), lunettes noires, rouge à lèvres, et du coton pour rembourrer mon soutien gorge.

             — Je vais à la bibliothèque, dis-je à ma mère.

             — Ne t’attarde pas, répond-elle.

             A mi-chemin entre nos deux maisons, il y a une cabine téléphonique aux vitres dépolies. Je m’y glisse et, en deux temps trois mouvements, change de look. Ainsi puis-je me rendre incognito chez mon amant (le joli mot !) et, au retour, faire la manœuvre inverse.

             Je suis convaincue d’être méconnaissable jusqu’au jour où je croise la boulangère qui me lance distraitement :

             — Bonjour, ma petite Anne. Comme tu as grandi !  

             Mince ! Mata-Hari est démasquée.


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 15 Février 2012 à 09:00
    benoît barvin
    Héhéhé... N'est pas Superman/Clark Kent qui veut... Ceci dit, Supergudulette, c'est pas mal non plus...
    2
    Mercredi 15 Février 2012 à 15:02
    Castor tillon
    Heureusement que c'était pas la boulangère du Thier-à-Liège qui t'avait déjà caftée !
    En tout cas, elle a fait la reliure, ha, ha, entre la maigrichoune et cette belle jeune femme avec des formes, c'est plutôt flatteur.
    Comme espionne, par contre, tu aurais été lamentable, désolé de te le dire.
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    3
    Jeudi 16 Février 2012 à 09:40
    >w< j'adore! c'est vraiment pas de bol!
    4
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a, hein !
    5
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    ça rappelle la scène de "La petite voleuse" de Claude Miller où Charlotte Gainsbourg, encore gamine, s'arrête (dans des toilettes publiques, je crois) pour enfiler des bas et des chaussures à talons aiguilles.
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    @ Odomar : Bah, tu sais, se planquer dans les chiottes pour changer nos ballerines-socquettes contre des bas nylon-talons hauts, on l'a toutes fait... C'est en ça, d'ailleurs, que la scène de "La petite voleuse" est touchante !

    @ Castor : une espionne gaffeuse... Le summum du ridicule ! ça m'aurait bien convenu, finalement.
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    C'est un peu la caractéristique des "Solitudes" : maladresses, gaffes, manque de bol... On connaît tous ça !
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