• grands moments de solitude 57 (tome 2)

     

                                                          Science miction

       

                D’où ma mère tenait-elle cette stupide conviction ? De quelque revue féminine d’après-guerre, sans doute. Ou alors, d’une voisine, naturopathe avant la lettre. A moins qu’un petit plaisantin sans scrupule, connaissant sa crédulité, n’ait eu envie de rire à ses dépens…

               Bref, elle affirmait que pour avoir de beaux cheveux, il fallait les badigeonner avec sa propre urine. Pas de la vieille pisse macérant au fond des WC, non : le pipi tout frais du réveil que, pour mieux me leurrer, elle avait baptisé « la rosée ».

               Car, non contente d’appliquer cette méthode sur elle-même, elle m’obligeait à l’imiter, ce qui, bien sûr, me révulsait. Mais comment, à huit ans, faire valoir son droit à l’hygiène ? Contre l’autorité maternelle, je n’étais pas de taille…En dépit de mes protestations, je partais donc chaque matin en classe avec une chevelure humide qui, au fil des heures, commençait à « sentir ».

               N’ayons pas peur des mots : je puais littéralement. Et plus le temps passait, plus l’âcre fragrance m’incommodait — comme elle incommodait mes petites camarades. Si bien que ces dernières, ayant vite repéré l’origine de l’odeur, s’empressèrent de chuchoter à la ronde : « Y a Anne qui a fait pipi dans sa culotte ». Gloussements et ricanements saluèrent cette accusation que, d’ailleurs, je ne démentis point. À tout prendre, je préférais passer pour une pisseuse plutôt que d’avouer mes honteuses pratiques. C’était moins humiliant pour moi et ma famille.

               A dater de ce jour, je pris l’école en grippe. Car les élèves fronçaient le nez sur mon passage, se pinçaient ostensiblement les narines ou me montraient du doigt avec des « psss, psss, psss » narquois. Quant aux maîtresses, me croyant incontinente, elles jugeaient opportun de m’expédier aux toilettes le plus souvent possible, ce qui, en quelque sorte, officialisait ma réputation.

               Par chance, la nature humaine est pleine de ressources. Lassée de cet enfer, je trouvai la parade. Afin d’échapper au rituel matinal responsable de mes malheurs, je pris l’habitude de me lever aux aurores. M’étant soulagée dans le pot ad hoc, j’en vidais le contenu par la fenêtre (nous n’avions pas de salle de bains) et le remplaçais par de l’eau pure dont, ostensiblement, je me frictionnais le crâne.

               — Tu vois comme tes cheveux sont forts et brillants, disait ma mère, ravie. C’est grâce à ta rosée. Si tu veux avoir de jolies boucles, plus tard, il faudra continuer lorsque tu seras grande.

               J’acquiesçai avec conviction, trop heureuse qu’elle ne vînt pas renifler ma tignasse !

     

              

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  • Commentaires

    1
    Yunette
    Lundi 20 Juillet 2015 à 08:11
    Voilà d'où vont cette habitude de se lever tôt ! C'était pour qu'on ne lui pisse pas sur la tête !
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    2
    Lundi 20 Juillet 2015 à 09:02

    L'arrosée du matin :-)

    3
    Cachou
    Samedi 25 Juillet 2015 à 23:47

    Pisse and love !

    4
    Samedi 1er Août 2015 à 14:14

    C'est donc pas d'aujourd'hui que datent ces drôles de pratiques si moquées sur le Net... Beurk en tout cas !

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