• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 55

    Mon âme est une porcherie

       En 1996, Frayeur s’arrête. Jean Rollin quitte le Fleuve Noir pour les éditions Florent-Massot où il crée la collection « Poche-revolver fantastique ». Après quelques publications (dont l’inoubliable « Je suis venu te dire que je suis mort » d’Olivier Ka), il se retrouve face à un épineux problème. Florent-Massot est un éditeur jeune, avec un lectorat jeune (« Baise-moi », de Virginie Despentes, fait un tabac). Or, ses auteurs à lui — hormis Olivier Ka, mais c’est l’exception qui confirme la règle — ont tous largement dépassé la quarantaine.

             — Tu comprends, m’explique-t-il, les débutants ont de bonnes idées mais manquent de savoir-faire, et les vieux, c’est l’inverse. Leurs textes sont bien écrits mais trop classiques.

             Ce genre de truc, faut pas me le dire deux fois : j’adore les défis ! Trois semaine plus tard, « Mon âme est une porcherie » trône sur son bureau. Le vocabulaire est très argotique et l’intrigue parfaitement déjantée ; c’est pile-poil ce qu’il cherche pour redorer son blason.

             Pas question de le sortir sous mon nom, bien sûr. La genèse de ce roman doit frapper les esprits. Nous mettons donc au point une jolie histoire : ce serait l’œuvre d’une certaine Julie Rivière, récemment suicidée. Son père se serait engagé, sur la tombe de son enfant morte, à le faire publier dans les plus brefs délais.

             —Le pauvre hommel pleurait en me le remettant, précise Jean Rollin, qui ne peut s’empêcher d’en rajoute une tonne. Regardez, l’encre de la couverture a coulé... N’est-ce pas pathétique ?

             La supercherie met la boîte en ébulition, tout le monde s’arrache le manuscrit et on le programme pour le printemps suivant. Hélas, en février, malgré les ventes faramineuses de « Baise-moi », l’éditeur dépose le bilan.

             Ça valait bien la peine de se donner tout ce mal...

    « Mon âme est une porcherie » paraîtra l’année suivante aux Belles Lettres où Jean Rollin, ayant repris son envol, a atterri. Il inaugurera la collection « Les anges du bizarre » — sous la signature d’Anne Duguël, cette fois. D’aucuns diront que c’est mon meilleur livre.  

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 11 Février 2012 à 17:01
    Castor tillon
    Ben moi, je vote pour "la baby-sitter", brr. J'ai vu quelques films de Jean Rollin, très kitchs, mais visuellement bien réussis. Je n'ai rien lu de lui, par contre.
    C'était une chouette promo, quel dommage. ça aurait peut-être relancé la boîte, à quelques mois près.
    2
    Samedi 11 Février 2012 à 18:01
    Castor tillon
    En effet, je ne suis pas sur fb. Merci pour le lien !
    Jean Rollin a l'air d'un homme tout-à-fait adorable, c'est un plaisir, cette vidéo. Je vais aller regarder la 2è partie sur Youtube.
    Les deux orphelines vampires, didonc, je l'ai vu au moins trois fois !
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    3
    Vendredi 17 Février 2012 à 01:15
    Arty Shaw
    Bonsoir,

    je viens à vous en jeune ignorant et naïf qui prends la vie comme elle va. Je reconnais tout d'abord n'avoir pas souvenir d'avoir lu aucun de vos ouvrages, mais je suis votre blog un petit moment déjà et, si je prends du plaisir à le lire, j'en tire quelques enseignements.

    Je me lance dans les commentaires dans ce billet car il m'a interpellé. A mes heures perdues, et à celles que je retrouve, je me consacre à l'écriture également. Ce n'est pas forcément un travail bien sérieux ni aussi poussé que peut l'être le votre car ma vie d'étudiant ne me donne guerre le loisir de m'y pencher plus. Mais là n'est pas la question.

    Dans votre poste, vous parlez justement de la censure, d'après le titre, et du traitement de la maladie mentale dans votre livre. De mon côté, j'ai un projet d'écriture, qui dans ma tête aboutit à un livre, qui en parle également, bien que dans mon cas ce soit une enfant qui soit une malade mentale (j'ai imaginé une forme poussée d'autisme avec un profond retard dans les capacités cognitives du personnage). En lisant votre poste, j'ai eu peur, je le reconnais... Et du coup, je me demandais ce que je devais faire de ce projet. S'il est voué à la censure, moins brutale que la votre je l'espère, est-il utile de le poursuivre ? Ne vais-je pas bâtir un immeuble sur un terrain que l'on m'annoncera impropre à la construction ?

    D'un côté je n'ai aucune envie de me laisser faire par la censure, et j'aimerai poursuivre ce projet, mais je me demande vraiment si cela en vaut la peine... .

    Je tacherai de me rattraper quant à la lecture de vos oeuvres et continuerai à suivre votre blog.

    Bonne soirée de la part d'un étudiant paumé dans la société :)
    4
    frederic
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    frederic
    C'est effectivement un excellent roman. Perso, j'ai tout de même nettement preféré "Petite chanson dans la pénombre" et plus récemment "Le petit jardin des fées". Je trouve que l'enfance est un bon terreau pour écrire des histoires horribles. ^^
    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Parfaitement d'accord avec toi. D'ailleurs, ce n'est pas par hasard que tous les auteurs de fantastique en usent et en abusent... Contente que tu aies aimé "le Petit Jardin des Fées", qui est un de mon dernier roman adultes paru.
    6
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    Si ce n'est pas le meilleur, il n'en est pas loin. C'est le plus... le plus... quelque chose. D'indéfinissable, en fait.

    Je n'ai jamais compris l'aventure Florent Massot. Comment a-t-il pu avoir une si mauvaise gestion ? Tout lui souriait et patatras...
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Je n'en sais pas plus que toi. On a dit, à l'époque (mais on dit tant de choses !) que les fêtes monumentales qu'il organisait engouffraient tous les bénéfices. Si c'est vrai, je lui tire mon chapeau. C'est ce qu'on appelle avoir le sens du plaisir, et ce n'est pas si courant ! Personnellement, j'aimais beaucoup cet éditeur.
    8
    Pierre
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Pierre
    Très objectivement difficile de définir telle ou telle histoire comme étant la meilleure de Gudule. Ce qui est géniale dans celles-ci est que bien que les bases restent les mêmes, les histoires sont toutes diamétralement différentes : comment préférer "Dancing Lolita" à "Petite chanson dans la pénombre" ou encore "Gargouille" tellement celles-ci sont différentes avec comme base une petite fille. Tout comme Stephen King utilise toujours comme base un auteur ayant le problème de la page blanche (et résident dans le Maine), au final cela n'a toujours aucune importance sur la suite de l'histoire.

    Tout comme celles de Gudule qui sait nous emmener à chaque fois dans son univers qui regorge d'idées, concepts et sentiments rarement exploités. Au final "Mon âme est une porcherie" est le seul roman de Gudule que n'aura pas réussi à lire une amie, il est vrai que ce roman est très glauque (personne très perturbée, univers repoussant, saleté omniprésente, etc.) Et comme à ma grande habitude j'ai reçu une belle claque en refermant le livre.

    Bon week-end.
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Merci Pierre pour cette analyse très pertinente de mon travail. C'est vrai que les petites filles sont omniprésentes dans mes histoires - normal : celle que j'ai été est toujours vivante en moi, comme en chacun de nous, d'ailleurs. Cesse-t-on jamais d'être une petite fille ou un petit garçon qui rêve, joue, fait des farces et a peur du noir ? L'âge adulte est un leurre, un masque qu'on met pour impressionner les autres, masqués eux aussi. Nos sociétés ne sont, en fait, qu'un vaste théâtre où nous faisons tous semblant d'être grands. Certains y réussissent mieux que d'autres, et se prennent même à leur propre jeu...
    Bon week-end à toi aussi, et à demain pour une nouvelle Solitude !
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Tiens, demain, je raconterai une petite histoire concernant un film de Jean Rollin... En ton honneur, cher Castor ! Jean-Pierre Dionnet parle très bien de son cinéma si particulier. J'ai mis le lien sur ma page facebook "Lili Bidault", mais si tu n'es pas inscrit sur fb, je te le donne dans un instant.
    Bon, question promo, je ne pense pas que ça aurait comblé le gouffre financier de la maison d'édition, mais bon, on peut toujours rêver...
    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Voilà le lien : http://gudule.over-blog.com/article-hommage-a-jean-rollin-63473231.html
    12
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Ma petite histoire de demain t'amusera donc tout particulièrement, puisque tu as vu le film !
    Sinon, voici le lien de "Jean Rollin, le rêveur égaré", très beau film réalisé sur lui : http://www.dailymotion.com/video/x678fb_jean-rollin-le-reveur-egare-teaser_shortfilms
    13
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Paumés dans cette société, nous le sommes tous, hélas. Pour autant qu'on ait un minimum de sensibilité, je veux dire.
    En ce qui concerne la censure, je suppose que tu fais allusion à mon livre "A la folie", refusé par Gallimard. Je te rassure tout de suite : que tu abordes ce thème ou un autre pas "politiquement correct", tu devras sans doute te battre pour le publier. Mais ce combat en vaut la peine. Si tout le monde se plie au laminoir, on ne donnera plus à lier à nos enfants que des fadaises, comme celles qui sont importées par tombereaux des Etats-Unis — journal d'une princesse et autre "débilitures" pour attardées mentales. Donc, ça vaut la peine de s'obstiner, et de frapper à toutes les portes. La plupart de mes livres (hormis les commandes) ont été au moins une fois refusés par un éditeur, avant d'être acceptés par un autre. Et ça continue, malgré mes quelque trente ans de métier. Mon plus gros succès, "La Bibliothécaire", écrit à l'origine pour Pocket, m'a valu cette remarque consternée d'un éditeur aujourd'hui disparu : "Mais ma pauvre Gudule, t'as vraiment rien compris". Accepté par la suite chez Hachette, il a largement dépassé le million d'exemplaires, aujourd'hui. Comme quoi, ne te laisse pas décourager, il y a toujours de l'espoir !
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