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grands moments de solitude 53 (tome 2)
Conversion
Pour Alain, qui, durant plus de trente ans, fut mon meilleur ami, la solidarité n’était pas un vain mot. Toute minorité opprimée, de quelque nature qu’elle soit — ethnique, sociale, politique, sexuelle…, titillait sa fibre empathique, au point que je l’ai longtemps soupçonné de n’être gay que par fraternité pure, en un temps où ces mœurs étaient encore taboues. Face au ku-klux-klan, il eût été Noir, aux SS, résistant, aux collabos, Juif, à Israël, Palestinien, à l’oppression masculine, femme. Bref, cet être sensible, un peu excentrique et violemment humain, portait sur ses épaules toutes les misères du monde, et en redemandait.
Quand, au début du vingt-et-unième siècle, une islamophobie rampante commença à souiller la France, il décida de devenir musulman. Et comme il ne faisait jamais rien à moitié, il se rendit à la mosquée pour officialiser sa conversion.
La démarche fut houleuse. Deux heures plus tard, effondré sur mon canapé, il sanglotait devant un verre de whisky.
A mes questions pressantes, il n’eut qu’une seule réponse :
— Je me suis fait jeter par l’imam, tu te rends compte ?
— M’enfin, pourquoi ? Que lui as-tu dit ?
— Tout ! Que je ne mangeais plus de porc, que je m’étais inscrit à l’école coranique, que je préparais mon pèlerinage à La Mecque, que je voulais m’appeler Malik el Shabazz, comme Malcolm X, que je faisais le Ramadhan…
— Et, euh… que tu étais homosexuel ?
— Bien sûr !
— Séropositif ?
— Evidemment !
— Alcoolique ?
— Je n’allais pas lui cacher ça, tout de même ! Quand on embrasse la Foi, il faut un minimum d’honnêteté.
Je n’ai pas ri, non. Ç’aurait été de mauvais goût. Certaines candeurs sont si touchantes qu’elles forcent le respect — sauf celui des religieux, semblerait-il.
Et on s’étonne que je sois athée ?
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(*Du moins, selon la lecture qui en faite aujourd'hui !)