• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 5

    Les moonboots

       En 1995, l'un de mes livres, Le chien qui rit, recueil de nouvelles paru chez Denoël, obtient le prix littéraire du festival Fantastic'arts  de Gerardmer. C'était la première années où ce festival du film fantastique couronnait également une œuvre littéraire. Afin de recevoir dignement mon prix, j'étais donc invitée, durant les cinq jours que durait de la manifestation, dans cette petite station de ski des Vosges, en plein hiver. Mon éditeur, Jacques Chambon, m'accompagnait (ou plutôt, c'était moi qui l'accompagnais, car il assistait chaque année au festival, tandis que pour moi, c'était une grande première).

             J’ai toujours aimé voyager léger — c’est-à-dire avec le minimum de bagage : un slip de rechange dans une poche et une paire de chaussettes dans l’autre.

             « Dans une station de ski, me dis-je, avec une logique qui me semblait imparable, on porte des après-ski ».

              J'avais acheté, quelques années auparavant, une paire de moonboots qui ressemblaient à s'y méprendre à celles portées par Tintin dans On a marché sur la lune  — sauf que les miennes étaient écrues avec des rayures de toutes les couleurs, genre torchon à vaisselle (c'est-à-dire horriblement démodées). Je les enfilai donc, ainsi qu’un jean, un pull à col roulé et une doudoune. Pour me rendre d'une salle de cinéma à l'autre, cela me paraissait la tenue adéquate. 

             Hélas, c'était compter sans la réception prévue par Denoël pour la remise du prix !

             Je vous laisse imaginer ma tête quand je me suis retrouvée, accoutrée de la sorte, dans le restaurant le plus chic de Gerardmer, face au jury qui avait élu mon livre et se composait d'une Régine Deforges en robe du soir, d'un Didier Van Cauwelaert, d'un Jean-Jacques Pauvert, d'un François Nourissier, etc, en costard-cravate, et d’une assemblée triée sur le volet...

             C'est donc le rouge au front que j'ai reçu, sous les applaudissements polis des invités, une somptueuse gerbe de fleurs des mains de Régine Deforges (qui devait sincèrement se demander à quel genre d'extraterrestre elle avait affaire). Après avoir baragouiné d’inaudibles remerciements — au lieu du petit discours réglementaire, que j’avais pourtant soigneusement préparé —, j’ai couru me planquer derrière mon assiette, suivie par le regard goguenard de Jacques Chambon qui, depuis longtemps, ne se faisait plus d'illusions sur moi.

             J'étais si perturbée que j'ai oublié ma gerbe sur un guéridon, à la fin du repas !

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 23 Décembre 2011 à 11:13
    Boulet
    Je me suis déjà retrouvé comme ça en tongs et en marcel dans un gros repas officiel de festival...
    Et Reno a quand même traversé en slip de bain une rue et le hall d'un grand hôtel où étaient réunis tous les grands noms de la BD...
    2
    Vendredi 23 Décembre 2011 à 12:30
    Castor tillon
    Pourquoi faut-il que les gens compliquent tout ? Du moment que tu avais un slip de rechange, hein. Ils sont jamais contents. Heureusement d'ailleurs, sinon, je ne serais pas devant mon ordi, en train de me marrer.
    Et ça me touche d'autant plus que j'ai le même genre de problème.
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    3
    Vendredi 23 Décembre 2011 à 12:42
    Gabriel
    Merci pour ce rire matinal ! (faut que je fouille dans mes vieux Psiko pour trouver ces moments attroces)
    4
    Vendredi 23 Décembre 2011 à 13:48
    Amanda Hinault
    C'est drôle mais je trouve que ça te ressemble bien plus de venir en moonboots à une soirée guindée ! Ton petit côté anti-conformiste ^^
    5
    Vendredi 23 Décembre 2011 à 15:02
    melaka
    Un éditeur serait bien avisé de publier ça, ce genre d'histoires se grignote tout seul, je suis sure que ça marcherait ! Pour l'histoire de Reno en slip de bain dans la réception, je pense qu'on avait dû le raconter sur mon blog, ptêtre même un peu avant que Boulet créé le sien..
    6
    Angèle
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    Angèle
    Merci de nous faire partager ces moments savoureux ! Il y a un an ou deux, j'avais lu une des anecdotes dans le Psychopat' et j'avais regretté que cela ne soit pas une chronique régulière (mais je n'achetai pas non plus régulièrement le magazine, peut être que j'en ai raté quelques une !) Mais les voici réunies sur le blog !
    7
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    Gudule
    @ Boulet : Ah oui, j'avais entendu parler de cette histoire. Tu ne l'as pas racontée en BD sur ton blog ?
    @ Angèle : J'ai en effet publié quelques-unes de ces anecdotes dans Psikopat, sous le titre "Moments atroces". Mais depuis, j'en ai retrouvé bien d'autres ! Et ça m'amuse beaucoup de vous les faire partager.
    8
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    Gudule
    @ Castor : on en a tous, des histoires comme ça. L'existence humaine est émaillée de virgules de honte, comme les murs d'un chiotte public (tu remarqueras la grâce de la métaphore ; chuis en verve, moi, ce matin !) J'ai toujours eu envie de faire un bouquin où des tas d'écrivains (professionnels ou amateurs) raconteraient ainsi leurs instants tragiques. Mais y a-t-il un éditeur pour publier ça ?
    @ Gabriel : ça devait être il y a trois ou quatre ans... Et merci à tous de rigoler à mes conneries !
    9
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    Gudule
    Ah, oui, c'est ça ! La fameuse blague récurrente... Faudrait vraiment qu'on fasse des concours de honte, chacun dans sa partie : les dessinateurs en BD, les auteurs en texte. Tu as raison, ça marcherait, mais la difficulté, c'est de trouver un éditeur qui y croie. On en revient toujours au même point... !
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