• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 47

    La minute de volupté

       Allez, une fois n’est pas coutume : aujourd’hui, je ne vous raconterai pas un événement honteux, mais plutôt une revanche follement jubilatoire.

             En 2000, « J’irai dormir au fond du puits », paru chez Grasset-jeunesse, obtient le Prix des Incorruptibles, catégorie collège — un prix honnête, celui-là, puisqu’il est décerné par les lecteurs eux-mêmes. Grosse cérémonie, délégations d’élèves venus d’un peu partout avec leurs enseignants, cocktail, discours, applaudissements, etc.

             Soudain, depuis le podium où on me remet ma récompense, qui aperçois-je, parmi la foule ?

             André J.

             Il était, à l’époque, éditeur chez Hachette, et, au départ, c’était pour lui que j’avais écrit ce roman. Roman qui n’avait pas eu l’heur de lui plaire, puisqu’il me l’avait refusé avec une lettre commençant par :  « Gudule, tu m’as beaucoup déçu ». En dénonçant un certain nombre d’actes cruels, commis envers les animaux dans ce qu’on appelle « la France profonde », je me comportais, selon lui, en Parisienne bornée.

             — Imagine ce que vont éprouver les lecteurs dont tu critiques ainsi les traditions ? me dit-il. C’est du racisme anti-province.

             Or, les votants étaient, à quatre-vingt pour cent, des collégiens de zones rurales...

             Pris à partie par des copines auteures, André fut forcé de reconnaître son erreur. Ce qu’il fit, je dois dire, avec beaucoup de fair-play. Mais ce dut être, pour lui, un vrai beau grand moment de solitude...

             Moi, par contre, je flottais sur un petit nuage. S’il y a des instants de jouissance intense, dans ce métier, ce sont ceux-là. Instants trop rares, hélas. Car combien de manuscrits injustement décriés ont droit, ainsi, à une réhabilitation publique ?

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 3 Février 2012 à 08:17
    benoît barvin
    Oui, combien? Des trillions, je dirais, avec mon inconscient d'enfant, nul en math, mais qui aimait les billions, trillions et... heu... quadrillions? Trop, de toute façon, car, citoyens(et citoyennes) qu'on se le dise: les directrices et directeurs de collection ne sont pas - forcément - infaillibles (et compétents, et gentils, etc...)
    2
    Vendredi 3 Février 2012 à 11:00
    Aline Méchin
    Chaque jour je me précipite sur votre blog pour lire vos "moments de solitude". Je les trouve jubilatoires et je jubile ! Merci. ♥
    3
    Vendredi 3 Février 2012 à 11:24
    cali rezo
    ça fait plaisir de lire aussi des moments de ce genre (:
    4
    Vendredi 3 Février 2012 à 18:14
    Castor tillon
    S'il est fair-play, peut-être qu'André a lui aussi un blog où il expose ses grands moments de solitude. Mais je ne te ferai pas d'infidélités : les tiens ont l'air beaucoup plus marrants !
    Sur cet opus 47, j'ai bu du petit-lait avec toi.
    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Ils sont surtout très différents de ce que nous imaginions, quand nous écrivions encore Edition avec un E majuscule ! Et ce qui m'amuse toujours, c'est la manière dont sont présentés les éditeurs dans les films français : de vrais passionnés qui harcèlent leur auteur, ayant écrit un livre mais n'arrivant pas, le pauvre chéri, à se mettre au second. Quel dévouement, quelle abnégation pour le convaincre de se mettre au travail (alors qu'on lui a déjà payé son à-valoir, ben voyons !). C'est fou ce qu'on peut faire gober aux spectateurs ! Il y a des décennies que ce genre d'éditeur n'existe plus, si tant est qu'il ait jamais existé. Nos chers marchands de livres préfèrent racheter les best-sellers étazuniens plutôt que de miser sur des talents d'cheu nous ! Mozart assassiné, disait Gilbert Cesbron. Y a p't'être un peu de ça.
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Merci à toi, Aline. Ce sont des réactions comme la tienne qui me donnent la pêche !
    7
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    Dès qu'on a un peu écrit, on a connu ça : le manuscrit refusé ici qui est publié là, et l'amusement alors de voir les réactions du premier.
    Il y a aussi le manuscrit accepté, avec contrat signé, qui n'est jamais publié (changement de directeur de collection, dépôt de bilan de l'éditeur). Là, du coup, c'est de nouveau l'auteur qui a un GMS !
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    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    @ Cali : que la honte ne soit pas toujours du même côté, tu veux dire ? Tu parles !
    @ Odomar : il y aurait des bouquins à écrire sur le sujet (bouquins dont personne ne voudrait, évidemment !). Entre les auteurs et les éditeurs, c'est toujours la guerre des moutons et des roses. Et quand un livre voit le jour, on en arrive presque à crier au miracle. Y a quéqu'chose de pourri au royaume de la littérature (pfiou, les références culturelles, ça fuse, aujourd'hui ! Désolée, hein...)
    9
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    Et ce brave lecteur inconscient, qui ne se doute pas de tout ce que nous souffrons pour lui !
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Enfin, bon... un peu pour nous zaussi !
    11
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    Mais quel con cet André J. !

    La justification par la "tradition" à laquelle on serait attaché (?) de toutes les bêtises et cruautés. L'argument favori des amateurs de corrida !
    12
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    ou l'inverse
    13
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Ah ! Que c'est bon de se sentir comprise !
    14
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Merci, Nadège, ça me touche beaucoup. Si tu vas voir mon dernier post, tu pourras constater que cette histoire n'est pas unique, au cours de ma carrière. Je t'embrase.
    15
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Prénom d'emprunt, comme tu t'en doutes. Il s'agissait quand même, dans mon livre, d'une chouette clouée sur la porte d'une grange. Et moi, avec ma sensiblerie de Parisienne, je désapprouvais cette belle tradition, tu te rends compte ?
    En revanche, un gamin m'a reproché un jour : " Vous prétendez aimer les animaux, alors pourquoi les faites-vous souffrir dans vos livres ?".J'ai dû lui expliquer que mon propos était, justement, de provoquer son indignation. Comme quoi, les discours contenus dans un livre ne sont pas plus évident pour les gosses de dix ans que pour certains éditeurs...
    16
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Nadege
    Etant en stage dans un CDI justement au moment où le concours commençait, la documentaliste m'avait chargé de gérer son déroulement de A à Y (mon stage s'est achevé avant la clôture, hélas). Je devais entre autre lire les livres pour rédiger un résumé à entrer dans la base de donnée du CDI différent de la 4e de couverture. J'avais trouvé "J'irai dormir au fond du puits" nettement au-dessus des autres livres au point que je l'ai relu durant mes pauses bien que je n'aime pas particulièrement la littérature jeunesse. Je vous en avait d'ailleurs parlé au salon du livre de Paris ou aux Imaginales.

    PS : pour moi, vous serez toujours une grande dame et j'espère vous revoir un jour.
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