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grands moments de solitude 45 (tome 2)
La glacière
L’anticonformisme n’est pas toujours de tout repos, même dans les petits détails de la vie quotidienne. L’une de mes nièces ayant pété la fermeture-éclair d’un sac réfrigérant Ben & Jerry’s, je le récupérai.
— Il me servira de sac de plage, expliquai-je. Et comme l’intérieur est plastifié, ce sera l’idéal pour les serviettes humides.
— Tu vas être ridicule, me prévint ma nièce en riant. A ton âge, détourner les objets… ! Tu ne préfères pas que je t’en offre un vrai, de sac de plage ?
—Pas question, celui-là me plaît beaucoup. Il est très rigolo avec ses taches de vache.
Faisant fi des avis de la jeune génération, j’enfournai mon foutoir dans le sac en question.
Mal m’en prit. Quelques jours plus tard, comme je passais à la caisse du Leclerc de Gaillac :
— Veuillez ouvrir vos poches plastique, demanda la vendeuse d’un air suspicieux.
Je m’exécutai de bonne grâce. Depuis que les supermarchés ne fournissent plus leurs propres emballages, il y a, paraît-il, recrudescence de vols.
— La glacière aussi, s’il vous plaît.
— Ce n’est pas une glacière, c’est mon sac à main, protestai-je. Vous n’avez pas le droit de fouiller le sac des clients.
— Mais leurs glacières, si !
Bien que Michel, qui rangeait les courses dans le caddie, fît chorus avec moi, la caissière ne voulut rien entendre. Elle se conformait aux instructions de sa direction, point barre. S’ensuivit une discussion assez vive, au terme de laquelle j’exigeai :
— Appelez-moi le directeur du magasin !
Dix minutes plus tard, un homme grassouillet nous rejoignait, suivi d’un vigile en bonne et due forme.
— Madame refuse d’ouvrir sa glacière, expliqua la caissière.
— Ce n’est pas une glacière, c’est mon sac à main.
— Non, madame, c’est une glacière, intervint le vigile. Nous vendons les mêmes au rayon surgelé.
— Peut-être, mais j’ai bien le droit d’utiliser une glacière comme sac à main, si ça me chante. Et dans celle-là, il y a mes effets personnels.
—Alors, laissez-nous vérifier.
La controverse eût pu durer longtemps, mais la file d’attente commençait à grogner, si bien que, d’un geste rageur, je retournai mon « sac » sur le tapis roulant, éparpillant pêle-mêle son contenu : un sweat de rechange, une boîte de Doliprane, trois stylos à bille, mon porte-monnaie, ma pochette carte bleue-carte vitale-chéquier, mon agenda, une ordonnance médicale, des Kleenex usagés, un tube de gel lubrifiant à moitié entamé, mes lunettes de secours, des pastilles pour la toux, une paire de chaussettes sales — bref le bordel intime d’une sexagénaire un tantinet foutraque.
Tandis que mes interlocuteurs survolaient le tas d’un œil mou, j’affirmai haut et fort —pour que tous les clients l’entendent :
— Je ne mettrai plus jamais les pieds dans ce magasin de merde !
Puis, ramassant vite fait mes petites affaires, je tournai les talons et m’éloignai dignement, escortée par la voix pragmatique de la caissière :
— N’empêche qu’une glacière, c’est pas un sac à main !
Dont acte.
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Commentaires
1Annie GHDimanche 27 Juillet 2014 à 17:35Répondre
Je pense sérieusement à me faire imprimer un tee-shirt "J'EMMERDE LECLERC" pour aller faire mes courses. Juste pour voir.
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