• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 45

    La folle maîtresse   

    Ma mère était d’une nature soupçonneuse. Son puritanisme exacerbé lui faisait voir le mal partout. Elle le traquait donc avec pugnacité, surtout dans sa propre maison.

             À l’époque, je devais avoir neuf ans et mon frère Claude dix-huit. Éliane, une de ses copines qui préparait l’école normale, venait souvent étudier avec lui. Son assiduité tarabustait ma mère.

             — Il y a anguille sous roche, disait-elle à mon père. Cette fille est toujours fourrée dans la chambre de Claude. Un jour, tu verras, on s’en mordra les doigts !

             Papa, plus modéré, calmait le jeu, mais pas ses inquiétudes. Un jour que nous faisions la vaisselle ensemble, elle me demanda tout à trac :

             — Tu crois qu’Éliane est la maîtresse de ton frère ?

             La question était d’autant plus incongrue que, primo, ça ne lui ressemblait guère de mêler une gamine à des histoires de cul, et deuzio, j’ignorais la signification du mot « maîtresse » — dans le contexte, je veux dire. En revanche, je savais qu’Eliane voulait devenir intitutrice. Pourquoi ne se serait-elle pas exercée sur son copain ?

             — Oui, oui, j’en suis sûre, répondis-je avec aplomb. 

             — Comment le sais-tu ?

             — C’est elle qui me l’a dit !

             Maman ne fit qu’un bond jusqu’à la chambre de mon frère, pour virer in petto « la garce qui, non seulement dévergondait son fils, mais s’en vantait devant les enfants ».

             Claude a mis fort longtemps à me pardonner mon rôle, dans cette affaire. Il était convaincu que j’avais sciemment menti. Je n’ai compris pourquoi que bien des années plus tard !

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 1er Février 2012 à 10:21
    benoit barvin
    "Le nom de ma maîtresse? Je l'ai sur le bout de la langue" disait un ancien candidat à une quelconque élection... Joli conte, Gudule, bisous.
    2
    Mercredi 1er Février 2012 à 19:10
    Castor tillon
    Pauvres gosses ! Mes deux soeurs et moi avons ignoré longtemps le sens trivial de "maîtresse", et pourtant on habitait une cité d'Aubervilliers.
    Qu'est-ce qu'un môme peut comprendre à ce genre de question, je te jure !
    3
    Vendredi 6 Juillet 2012 à 15:00
    La Zèbre
    Mon père (français pure souche, mais né au Sri Lanka) m'a confié l'autre jour que, en Inde, où la religion est très présente, ma grand mère ne pouvait se retrouver dans une foule sans se faire peloter trois ou quatre fois les fesses, alors que, lorsqu'ils sont arrivés en Afrique, où les moeurs sont plus libre et une femme torse nu est monnaie courante, elle s'étonnait "Tiens ? Personne ne m'a touchée aujourd'hui".
    4
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    J'adore le "Avec aplomb".
    5
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Hi hi, c'est fou ce que ce mot est chargé de sens, hein ! Maîtresse... Y aurait des pages et des pages à écrire dessus !
    @ Odomar : pourquoi ? il te semble approprié, c'est ça ?
    6
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    C'est le comique de contraste (le plus efficace de tous !).

    Quand on avance quelque chose qui est incertain, ou qu'on ne comprend pas vraiment (dans ton cas), on le fait forcément "avec aplomb" !
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Oh, joli !
    8
    frederic
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    frederic
    Les mamans voient souvent le mal partout... Je me rappelle d'une fois; je devais avoir 12 ou 13 ans où ma mère m'a collé une paire de baffe momumentale parce qu'elle était tombée sur un de mes dessins dans lequel elle avait cru deviner une quequette là où j'avais voulu faire une vaisseau spacial !?? "ça ne te suffit pas de la voir, il faut aussi que tu la dessines, obsédé !" m'a-t-elle houspillé tandis que ma pauvre joue palpitait furieusement. Et bien même des années après, je n'ai jamais réussi à savoir si ma mère ne pensait qu'à ça (chose qu'on a toujours du mal à imaginer de ses parents bien qu'on sahce pertinemment qu'aucune cigogne ne nous a déposé sur le paillasson )ou si je dessinais vraiment si mal !
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Perso, je reste convaincue que les mamans qui voient le "mal" partout, comme la mienne, sont de vraies obsédées sexuelles. La religion, en bridant les instincts les plus légitimes, a ainsi créé des générations de grenouilles de bénitier, traquées par leurs propres pulsions. (D'hommes aussi, d'ailleurs : il suffit de voir les scandales qui secouent le clergé depuis quelques années).Une vraie entreprise de perversion collective ! Et pendant ce temps-là, les païens, les sans-dieu et les anarchistes prônaient le naturisme et la non-frustration... Mais, aux yeux de tous, c'étaient eux, les vilains !
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Oui, oui, ça confirme tout ce que je pense : le "péché" est un délit inventé de toute pièce, et qui se mord la queue (!). En diabolisant les pulsions les plus naturelles, on les enterre au fond de notre inconscient où elles pourrissent... et, du coup, deviennent vraiment malsaines.
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