• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 40

    Gorge profonde

       Beyrouth, 1966. Le grand cinéaste Youssef  Chahine cherche des figurants pour un film dont j’ai oublié le titre, avec en vedette la chanteuse Sabbagh.  Notre petite bande de potes est embauchée pour jouer le public d’une boîte de nuit. Le Maître ayant besoin d’une barmaid, son dévolu tombe sur moi — ce qui m’arrange, car c’est mieux payé. On m’envoie chez l’habilleuse qui me dégote une atroce robe de satin vert pomme ornée de zigouigouis dorés, et m’indique une loge où je peux aller me changer.

             La robe est à ma taille, sauf au niveau du buste. Le décolleté bâille lamentablement, car je n’ai à l’époque, pas un poil de nichons (si j’ose dire). Style Jane Birkin, voyez ?

             Qu’à cela ne tienne : dans un coin est rangée une panière remplie de bas nylon. J’en fais deux grosses boules que je tasse dans le bustier. Ah ! J’ai tout de suite plus fière allure !  En bombant le torse pour que mes prothèses restent bien en place, je regagne le plateau, sous l’œil intéressé de mes copains qui ne m’ont jamais vue qu’en jean.

             — Tu es magnifique, là-dedans ! s’exclame Alex — ­qui, depuis quelques temps, me  dragouille vaguement.

             Toute fiérotte, je me perche sur un haut tabouret de bar, où je reste bien cambrée, histoire de mettre en valeur ma silhouette glamour. Puis, tandis que les régisseurs règlent l’éclairage, Youssef Chahine passe parmi les figurants. Il fait déplacer l’un, rectifie la position d’un autre, puis, s’arrêtant à ma hauteur, montre ma poitrine et demande :

             — Qu’est-ce que c’est que ça ?

             « Ça », c’est un bout de bas qui dépasse du bustier...

             Machinalement, il tire dessus et la boule se débobine d’un coup. Je crie « Eeeeeh ! » en tentant de rattraper mon sein qui fiche le camp, mais trop tard : le petit tas de nylon gît par terre, au vu et au su de tous.

             Youssef Chahine, confus.

             Mes copains, morts de rire.

             Et moi, aussi rouge que ma robe est verte.


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 27 Janvier 2012 à 15:23
    Castor tillon
    Faut dire aussi que c'est une accumulation de gaffes qui s'étalent sur plus de quarante années. C'est qu'on a le temps d'en faire ! ça serait maintenant, le cinéaste aurait un budget "roberts" pour ses actrices, et ça n'arriverait pas. Y aurait bien eu une autre foirade aussi marrante, je suis tranquille !
    2
    Vendredi 27 Janvier 2012 à 16:15
    Castor tillon
    1001 gaffes, c'est pas énorme... ça représente une par jour pendant à peu près trois ans. S'il est des jours où tu en commets deux ou trois, ça va vite...
    3
    Vendredi 27 Janvier 2012 à 17:10
    4
    Vendredi 27 Janvier 2012 à 18:06
    cali rezo
    Je me régale à lire ces histoires toutes plus croustillantes les unes que les autres (:
    5
    Vendredi 27 Janvier 2012 à 18:19
    Castor tillon
    Pardon. ^^ c'est un smiley qui veut dire que je rigole.
    6
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Odomar
    Si on ne savait pas que tout est vrai, on croirait que c'est inventé ! (une lapalissade, certes, mais qui exprime très exactement ma pensée).
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Eh si, hélas, c'est vrai de vrai... Je crois que c'est l'accumulation qui donne cette impression. On se dit : "C'est pas possible que tout ça soit arrivé à la même personne". Ou alors, c'est ma manière de raconter... Mais quand on y réfléchit, on en a tous une tonne de moments comme ça, au cours de notre vie !
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Et puis, vous n'êtes pas au bout du "gala de gaffes" (comme aurait dit Franquin). J'en ai quand même trouvé 101, jusqu'à présent. Mon ambition aurait été 1001, évidemment — les 1001 gaffes, la classe ! — mais je crains qu'une vie, même bien remplie, n'y suffise pas...
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Oui, mais une par jour, je tiendrai pas le choc. Chuis douée, mais quand même pas à ce point ! Et je crois que mon entourage craquerait... On n'est que cent habitants, dans mon village, tu imagines ? Ça fait dix gaffes par personne. Je vais les tuer, ces braves gens !
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    ?
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    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Merci, Cali ! Ravie de t'amuser. C'est le but du jeu, non ?
    12
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    @ Foutre ! Certains codes m'échappent. Désolée, cher Castor !
    13
    Grégoire
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    Grégoire
    Bonjour Gudule

    Quel régal ces petites anecdotes écrites d'une manière si légère et délicieuse. Bravo.
    Il faudrait retrouver le titre du film ! ça serait marrant de voir le passage et te voir dans cette scène.

    Amitiés, ainsi qu'à Sylvain
    14
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Je ne pense pas qu'il ait dépassé les frontières du Moyen-Orient, ni qu'il ait été traduit. C'était l'une de ces multiples comédies musicales commerciales, tournant autour d'une vedette du moment (en l'occurence Sabbah, qui n'a pas fait une carrière internationale). Même au Liban, on ne l'a pas vu...
    15
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:49
    gudule
    Et amitiés à toi aussi, bien sûr ! Quand viens-tu faire un petit tour à Puycelsi ?
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