• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 39

    Orgueil et préjugés

       Avril 1965. Je pars pour le Liban avec mon bébé de vingt jour.

             — Fais attention à toi, me recommande ma mère en m’emmenant  à l’aéroport. Tu vas dans un pays où les femmes sont voilées et les hommes en manque. N’adresse pas la parole à des inconnus, et n’oublie jamais que les Arabes ont le sang chaud. À la moindre attitude provocante, ils n’hésiteront pas à te sauter dessus !

             Nantie de ces sages conseils, je débarque chez mon frère aîné, installé à Beyrouth depuis plusieurs années. Il me fait visiter la ville, puis me lâche dans la nature. Ainsi me retrouvai-je, un matin, mon bébé sur les bras, à musarder dans le souk de la place des Canons.

             Un homme me croise et m’adresse la parole, dans une langue que je ne comprends pas. Forte des recommandations de ma mère, je détourne la tête en pinçant les lèvres. Un deuxième homme en fait autant, puis un troisième.

             «  S’ils n’ont aucun respect pour la femme, qu’ils en aient au moins pour la mère, ces obsédés ! », pensai-je, en brandissant ostensiblement mon fils devant moi.

             Malgré ce bouclier censé protéger ma vertu, le harcèlement continue. À la sept ou huitième fois, la moutarde me monte au nez et j’aboie :

             — Chou ?

             C’est le seul mot d’arabe que je connaisse ; il signifie « quoi ? » en mode agressif.

             Sans se démonter, l’homme désigne son sexe puis pointe le doigt vers moi. Voilà qui a le mérite d’être clair ! Je commence à paniquer : je me vois déjà en butte à un viol collectif... C’est alors qu’un monsieur élégamment vêtu me dit d’un air aimable, dans un français parfait : 

             — Excusez-moi, madame, votre braguette est ouverte.

             Je manque d’avaler ma langue, vérifie, et constate qu’en effet, non seulement la fermeture-éclair est baissée, mais un pan de mon chemisier flotte par l’ouverture. Les passants, auxquel j’avais prêté de si mauvaises intentions, n’avaient fait que m’avertir de cette négligence...

             J’ai été si gênée que je n’ai même pas remercié. Je suis partie ventre à terre cacher ma honte chez moi, en maudissant ma mère et ses foutus préjugés.

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 26 Janvier 2012 à 17:50
    Castor tillon
    Ces gens sont bien urbains, en effet. Choux, disons le mot ! En France, les mecs se contentent de se bidonner et de profiter du spectacle.
    Il faut vraiment aller dans un pays pour en comprendre les moeurs, la façon de réagir, etc. Vu de loin, on ne peut se baser que sur du ouï-dire.
    2
    Vendredi 27 Janvier 2012 à 15:11
    Castor tillon
    Deuze !
    3
    Vendredi 27 Janvier 2012 à 18:03
    cali rezo
    huhu, excellent !
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    4
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    gudule
    Sans doute... tout en évitant les ouï-médire, évidemment !
    5
    Pierre
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    Pierre
    Plus que quelques jours (voir semaines) avant le prochain recueil de nouvelles de Gudule : Mémoire d'une Aveugle. Pour sur, je serais l'une des premières personnes à l'acheter !

    (Ainsi qu'à l'offrir à toutes mes fréquentations).
    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    gudule
    Merci Pierre ! ça fait chaud au cœur.
    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    gudule
    Ouaiiiis ! Je ne sais pas encore quand le livre sortira ; en février, qu'on m'a dit. Mais j'ai pas encore la date exacte. Je vous tiendrai au courant !
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:50
    gudule
    Merci, Cali !
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