• grands moments de solitude 38 (tome 2)

                                                             Manque de bol

     

             J’ai longtemps considéré le magasin Ikéa comme un musée rempli de trésors inaccessibles. N’ayant pas les moyens de m’offrir son contenu, je me contentais de baver devant. Que de fois j’ai fantasmé sur tel meuble, tel bibelot, tel tapis, telle lampe, en les imaginant dans ma maison ! Mais seules les marchandises en solde ou défraîchies étaient à la portée de ma bourse…

             Ce fut le cas ce jour-là, quand je tombai sur un lot de six bols, bradés aux « bonnes affaires ». Ils étaient fort jolis, en faïence bleue et blanche d’inspiration rustique. L’idéal pour prendre le p’tit déj’ au jardin, les matinées d’été. Enchantée, je les achète, et me hâte de les ranger dans le buffet de la cuisine, en recommandant aux enfants :

             — Vous y faites bien attention, n’est-ce pas !  Il n’y  rien de plus moche que des bols ébréchés.

             Dès le lendemain, on les inaugure. Je ne me lasse pas de les admirer ni de caresser leurs flancs bombés. Boire le café au lait dans ces merveilles me remplit d’aise ; le repas me semble dix fois meilleur que d’habitude.

             Dans l’heure qui suit, une dispute éclate entre Alex et moi. La cause ?  Je ne m’en souviens plus. Une broutille, sans doute. Mais ça s’envenime, le ton monte, on s’abreuve l’un l’autre de reproches injustifiés. Et on en viendrait même aux mains si je n’avais soudain une idée de génie pour couper court à l’escalade. Saisissant la pile de bols neufs, je les fracasse calmement,  l’un après l’autre, sur le pavé. Le résultat est immédiat. La stupeur pétrifie  Alex, et mon action d’éclat ( !) me calme instantanément.

             L’orage passé, on se regarde comme des cons. Alex éclate de rire, et moi, je fonds en larmes

             Tandis que je balaie le sol en reniflant, mon mari ramasse un débris de faïence  qu’il scotche sur le mur, avec la date et un « bravo ! » narquois, assorti de trois points d’exclamation. Puis, sans un mot, il monte dans sa voiture et, une heure plus tard, me rapporte six bols, tout pareils aux premiers.

            

             Cette fois, nous sommes bel et bien réconciliés.

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  • Commentaires

    1
    Samedi 19 Juillet 2014 à 23:32
    Castor tillon
    Moi, j'ai une arme secrète : je transforme les éclats de voix en éclats de rire avec un simple appareil photo.
    2
    Samedi 19 Juillet 2014 à 23:48
    Castor tillon
    Ceci dit, je ne comprends pas comment on peut mettre la douce Gudule dans des états de rage pareils.
    3
    Dimanche 20 Juillet 2014 à 02:32
    Annie GH
    C'est une jolie histoire, Gudule… Sur un mode paradoxal, ton geste a introduit une faille dans un scenario diabolique… ce qui a retourné la situation… C'était un jeu à un coup, ça passe ou ça casse, et tu as réussi le tour de force de les combiner, y compris au sens littéral du terme… ;)
    4
    Dimanche 20 Juillet 2014 à 07:11
    Gudule
    @ Castor : es-tu bien objectif
    @Annie : et pourtant, je ne joue au poker !
    5
    Dimanche 20 Juillet 2014 à 09:11
    Gudule
    Hou, c'est joli ce que tu écris, Castor ! Et tellement vrai !
    6
    Dimanche 20 Juillet 2014 à 10:01
    Annie GH
    Moi non plus Gudule, je ne joue pas au poker, mais j'ai longtemps regardé des jeux de ce type…
    7
    Dimanche 20 Juillet 2014 à 15:52
    Gudule
    Voui, j'étais dans la dèche et je n'avais pas de meubles... On était arrivés du Liban sans rien du tout.
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    8
    Mercredi 6 Août 2014 à 11:00
    Pata
    Hé, hé, d'habitude, dans les disputes, on va se prendre un grand bol d'air... Gudule elle, les casse ces clichés là, en brisant sa vaisselle !
    9
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:23
    Odomar
    Ce qui m'étonne le plus c'est que tu considères Ikea comme un "magasin aux trésors", alors qu'ils ne vendent que de la camelote qui tombe en ruine au bout de quelques mois. Ah oui, la vaisselle peut-être... Mais tu devais être drôlement dans la dèche, en fait.
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