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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 38
11 septembre
Le 11 septembre 2001, à 14 h 46, j’étais sur le fauteuil du dentiste, la bouche grande ouverte, une pompe à salive sous la langue. En face de moi, il y avait une télé allumée, destinée à distraire les patients, mais sans le son pour ne pas troubler le praticien. Praticien qui, à ce moment précis, fabriquait ses petits amalgames dans la pièce à côté.
Je regarde distraitement les infos muettes quand soudain, sous mes yeux incrédules, un avion s’encastre dans l’une des tours jumelles du World Trade Center. Le temps de réaliser que ce n’est pas un montage, et je fais : « heinnnnnn, heinnnnnnn », dans l’espoir d’attirer l’attention du dentiste.
— Un peu de patience, me crie-t-il. J’ai presque fini
J’insiste, forcément. Un événement pareil, ça se partage, merde ! Mais il faut croire que mes onomatopées, mêlés au chuintement répugnant de la pompe, ne sont pas assez explicites car il me répond, plus sèchement cette fois :
— Ne vous énervez pas, voyons ! Je ne peux pas aller plus vite !
Sur l’écran, la scène, se répète en boucle. On doit en être à la troisième reprise quand il réapparaît. Mais comme il a le nez dans son ramequin de pâte rose, il ne remarque rien. Il est en train de m’en tartiner la dent au moment du second impact. Alors, je lui file un grand coup de pied, tout en indiquant la télé du menton.
Il se retourne enfin, pousse un « oh ! » étouffé, saute sur sa zapette et hausse le son. Pendant dix bonnes minutes, nous restons scotchés, à écouter les commentaires de la BBC, puis il se décide enfin à me retirer ma pompe. Et tandis que je me rince la bouche, il a cette phrase qui me laisse sans voix :
— Quel terrifiant spectacle ! Et en direct ! Dire que j’ai failli louper ça à cause de vous...
Je n’en suis pas encore revenue.
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Commentaires
1Castor tillonMercredi 25 Janvier 2012 à 18:31Répondre
Je n'ai aucune pitié pour les tortionnaires.4guduleVendredi 29 Août 2014 à 13:50
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