• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 233

    Grosse trouille dans la pénombre

            Se faire peur à soi-même, je connais. Ça m’est arrivé un nombre incalculable de fois. Comme ce fameux soir d’été 1995...

             Nous étions à la ferme, en Anjou. Cette ferme se composait de deux bâtiments : une maison d’habitation, où vivait Olivier avec femme et enfants, et une enfilade de grange, écurie, étable, remise à bois, que Sylvain restaurait dans ses moments perdus. Durant plusieurs étés, nous avons donc « campé » dans cette longère ouverte à tous vents, sous les poutres d’où pendaient des toiles d’araignées centenaires...

             Ce soir-là, donc, tandis que tout le monde joue aux cartes chez Olivier, j’écris ; j’ai promis à Jean Rollin un roman pour la rentrée. Or, selon mon habitude, je situe l’intrigue dans l’endroit où je me trouve. En gros, une petite fille assassinée a été enterrée dans une grange désaffectée qu’un couple de Parisiens achète vingt ans plus tard, pour la transformer en résidence secondaire. À leur contact, l’esprit de la morte se réveille, îvre de vengeance...

             Je suis complètement engloutie dans mon récit quand, relevant par hasard la tête, je constate : 1) que la nuit est tombée 2) qu’une ombre épaisse m’enveloppe, faiblement dissipée par le halo de l’écran 3) que je tourne le dos à l’endroit exact où j’ai situé la tombe du fantôme. De plus, le vent qui vient de se lever gémit entre les pierres disjointes...

             Cette plainte macabre, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Une trouille monstre me saisit. Plantant mon texte au beau milieu d’une phrase, je prends mes jambes à mon cou et file vers la maison voisine, où mon irruption n’interrompt même pas les joueurs.

             Il me faut dix bonnes minutes et un verre de rosé pour me remettre. Cette fois, promis-juré, j’arrête d’écrire des abominations. Il y va de mon équilibre, merde !

     

               « Petite chanson dans la pénombre » paraîtra six mois plus tard, aux éditions Florent-Massot. Il sera suivi de nombreux romans du même acabit qu’on peut lire, aujourd’hui, réédités dans deux gros recueils : « Le club des petites filles mortes » et « Les filles mortes se ramassent au scalpel ».

            

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 8 Novembre 2012 à 08:39
    Benoît Barvin
    Se faire peur à soi-même arrive d'abord aux enfants qui adorent qu'on leur raconte comment le loup veut manger les trois petits cochons... Ton histoire vraie me rappelle la vieille maison que nous habitions, pendant les vacances. Deux étages, un large grenier aménagé mais sans trop de lumière. Les planches craquaient, surtout la nuit, semblait-il et comme la maison était construire à flanc de colline, dans un hameau - donc entourée de nombreuses demeures vides, à demi écroulées -, on imagine sans peine la difficulté qu'il y avait, la nuit, à se lever pour aller "faire pipi". Car, évidemment, les toilettes se trouvaient dans le grenier, dans la partie la plus sombre, la plus effrayante de la pièce. Il fallait monter des marches - qu'on imaginait branlantes, enfant -, puis se précipiter vers le havre de paix qu'était la guérite qui abritait les WC. On allumait,et immédiatement la peur était gommée. Mais, dehors, dans le grenier envahi d'ombres menaçantes, "CA" nous attendait, mon frère et moi, pour nous manger, je suppose... Donc le retour se faisait en galopant, au risque de dévaler les escaliers étroits qui, j'ai oublié de le préciser, étaient dépourvus de lumière, mes parents considérant qu'il n'y avait pas lieu d'en mettre là...
    Ceci dit, il m'arrive régulièrement de relire un de tes bouquins paru dans une des deux anthologies et j'y prends le même plaisir... J'y retrouve certaines peurs d'enfant qui me rendent nostalgique... Merci à toi
    2
    Jeudi 8 Novembre 2012 à 14:23
    Tororo
    On a déjà dû te le dire des tas de fois, j'espère ne pas faire déborder le vase à mon tour en versant ma petite goutte (de sueur froide): Petite chanson dans la pénombre est, parmi toutes tes histoires, une de celles qui colle le plus efficacement le lecteur à son fauteuil! Il s'est donc bien produit, dans cette grange, une manifestation surnaturelle dont les effets persistent, et à distance encore...
    3
    Jeudi 8 Novembre 2012 à 20:17
    castor tillon
    http://nsm08.casimages.com/img/2012/11/01//12110107081714328910504343.jpg
    4
    Samedi 10 Novembre 2012 à 17:07
    Martine27
    Le texte doit être excellent puisqu'il a réussi à flanquer la frousse à celle qui l'a écrit !
    5
    Dimanche 11 Novembre 2012 à 17:41
    Martine27
    Ce n'est peut-être pas toi Gudule qui a écrit ce texte, mais la petite fille sortie de sa tombe qui t'a pris la main !
    6
    Lundi 12 Novembre 2012 à 04:44
    Castor tillon
    M'est avis que le petit verre de rosé, c'était avant la grosse trouille, et pas après.

    Bon, après aussi.
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    7
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:40
    gudule
    C'est marrant : en lisant ton récit (qui trouve, évidemment, les échos que tu imagines en moi !), une petite solitude vien de me revenir. Je m'en vais l'écrire très vite. Merci, monsieur Barvin pour ce chatouilli mémoriel (réciproque, si je ne m'abuse)!
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:40
    gudule
    Bon sang mais c'est bien sûr ! Tororo Holmès a encore frappé. Bon, sans parler de surnaturel, il se peut que cette ambiance ait joué sur celle de mon texte... On est de si drôles de bêtes, nous zautres !
    9
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:40
    gudule
    Tttttt ! Petit farceur, va !
    10
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:40
    gudule
    Qu'est-ce que je pourrais bien répondre à ça sans avoir l'air de "celle qui se la pète" ?
    11
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:40
    gudule
    Oh, c'est joli, ça ! Tu devrais écrire des romans, toi !
    12
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:40
    gudule
    Oh, l'aut'! Mes peurs ne doivent rien à l'alcool, môssieu. Elles sont bel et bien le fruit de mon trouillomètre personnel à moi toute seule, et à jeun !
    13
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:40
    gudule
    Tiens, à ce propos, la nuit dernière, j'ai été réveillée par un ptérodactyle. Il voletait en rond au-dessus de mon toit, en poussant des cris affreux, comme dans les livres de Tardi, tu vois ? (En fait, je crois que c'était un chat-huant, mais sur le moment, j'ai VU un ptérodactyle). Il sortait peut-être de sous ton lit, va savoir...
    14
    frederic
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:40
    frederic
    Avec le petit jardin des fées, Petite chanson dans la pénombre est mon roman préféré. Ton anecdote me fait sourire car j'étais moi-même un gamin extrêmement peureux et lorsqu'on me demande pourquoi j'écris de l'horreur, je réponds souvent que c'est pour exorciser les nuits blanches de mon enfance... sauf que je suis toujours aussi peureux ! Oserai-je dire qu'il m'arrive de dormir la lumière allumée quand je suis seul à la maison (pas quand il y a mes gosses, parce que lorsqu'ils sont là, le monstre de sous le lit les bouffera eux, ils ont quand même la chair plus tendre que moi, merde !). Blague à part, je comprends qu'on puisse parfois flipper comme ça, surtout quand tu entends des coups sourds dans les murs au beau milieu de la nuit et que lorsque le matin venu tu interroges tes voisins, ils n'y sont pour rien (là, c'est pas une blague !).
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