• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 222

    La voyageuse

             Il m’arrivait souvent, quand Mélanie avait trois ou quatre ans, de l’emmener avec moi visiter mes parents, en Belgique. Nous prenions le train à la gare du Nord, pour quelque six heures de trajet. Par respect pour les autres voyageurs — car les babillages des tout-petits gênent certaines personnes —,  nous cherchions toujours un compartiment vide ou peu occupé. 

              Dans celui que nous choisissons, ce jour-là, il n’y a qu’une jeune femme qui lit le journal. Je la salue sans la voir, m’assieds en face d’elle, installe ma fille avec sa réserve de bonbons et ses crayons de couleur, puis le train démarre. Un moment plus tard, notre compagne de voyage, ayant terminé sa lecture, abaisse son journal, et là... là...

             Le choc. Elle est défigurée au dernier degré. Pas de nez, pas de lèvres, un œil sans paupière, l’autre aux trois-quarts fermé ; une vision de cauchemar.

            Tandis que je m’efforce de garder mon sang-froid, des pensées se bousculent dans ma tête : « Au secours, je ne peux pas faire six cents kilomètres dans ces conditions », «  Mais je ne peux pas non plus me lever et partir, ce serait ignoble », et surtout : « Comment va réagir Mélanie ? ». Je la regarde en douce ; absorbée par son dessin, elle n’a rien remarqué. 

              — Euh... ma fille ne vous dérange pas ? demandai-je à la dame (dans l’espoir qu’elle me dise « si », pour que je m’éclipse sans scrupules).

               — Non, répond-elle aimablement. J’adore les enfants.

              Puisque la glace est rompue, nous commençons à discuter. Elle me parle de son accident, de ses opérations multiples ; c’est très intéressant. Et mes réticences fondent comme neige au soleil. Pire : en mon for intérieur, j’en ai honte. D’autant qu’elle est vraiment sympa.

               Mélanie, quant à elle, n’a fait aucune réflexion. Elle s’est comportée envers la voyageuse avec un naturel qui m’a bluffée. Elle lui a même offert un bonbon. Finalement, les enfants, c’est moins con qu’on ne le croit.

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 17 Octobre 2012 à 08:21
    Benoît Barvin
    Les enfants sont surtout dans "leur" univers et ne réagissent que lorsque les adultes réagissent... Avec ton joli petit "corazon" qu'on connaît, tu a donné là la meilleure éducation qui soit: celle de la tolérance... Chapeau bas.
    2
    Jeudi 18 Octobre 2012 à 05:48
    Castor tillon
    Effectivement, les enfants sont moins cons que nous. Au pire, ils vont sortir une réflexion idiote, puis tailler une bavette avec la madame amochée dans la foulée. Mélanie est une heureuse nature, et sa mère une femme épatante.

    La photo chez Laurel est trop mignonne.
    3
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:41
    gudule
    Oh, tu sais, je crois que Mélanie était naturellement comme ça. Cool, pas prise de tête, pas angoissée,sans préjugés... Aujourd'hui, c'est la femme et la mère la plus détendue que je connaisse. Tiens, va donc voir la petite histoire de Laurel, qui a passé l'été ici, à Puycelsi. On y retrouve Mélanie dans toute sa splendeur.
    4
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:41
    gudule
    Ah, oui, l'adresse : http://www.bloglaurel.com/coeur/index.php/2012/10/12/3270-puycelsi-12#co

    Et pense à cliquer sur le dessin, il y a une jolie surprise derrière
    5
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:41
    Nadege
    Je plussoie Benoit, la mère de Mélanie ne me semble pas du genre à être prise de tête :P

    Pour la note dont vous avez fourni le lien, j'en ai fait des chutes en 31,5 ans (j'ai commencé à 6 mois), certaines assez dangereuses, pas une seule fracture ou fêlure au compteur.
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    6
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:41
    gudule
    @ Nadège : c'est vrai que les gamins c'est solide... heureusement ! Mais quelle culpabilité quand on les fait tomber. J'ai quelques solitudes pas piquées des vers, sur ce sujet. L'auto-détestation de l'adulte maladroit, je connais !
    @ Castor : j'aime bien le dialogue mère-bébé, dans la photo de Laurel. Elle a saisi un moment de grâce.
    7
    Odomar
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:41
    Odomar
    Une histoire à coupler avec celle où Mélanie a accepté sans sourciller et adoré d'emblée un petit chien complètement défiguré.
    8
    gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:41
    gudule
    Ouaip ! Et le pire, c'est qu'en les écrivant, je n'ai pas réellement fait le rapprochement. Pas assez de recul, sans doute. Mais Mélanie, depuis toute petite, a montré une absence totale de préjugés, dans ce domaine.
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