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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 221
La disparition
Après la mort d’Hergé et celle d’Edgar Jacobs, mon père, qui avait été leur ami à tous deux, fut courtisé par leurs admirateurs. Il ne se passait pas une semaine sans que ses « fans », comme il les appelait, ne viennent le visiter dans sa retraite spadoise. Flatté de susciter autant d’intérêt, il répétait sans cesse les mêmes histoires, ce qui agaçait ma mère et donnait lieu à d’attendrissantes chamailleries de vieux couple.
Mes frères et moi, conscients du petit côté cabotin de nos parents, nous félicitions de cette célébrité tardive. Nous étions loin de nous douter qu’un visiteur indélicat en profiterait pour les dépouiller.
Papa possédait un livre d’or dans lesquel, outre de nombreux et très beaux dessins (dont un d’Hergé), il y avait une aquarelle d’Edgar Jacobs : un pirate à mine patibulaire qui, enfant, me fascinait. La dédicace, à elle seule, donnait le ton : « A ce vieux flibustier de Gérard, à sa charmante épouse et à ses moussaillons ». En ai-je passé, des heures, à rêver devant cet admirable portrait, d’un réalisme et d’un relief saisissants. Je m’attendais presque à le voir s’animer et me lancer d’une voix étraillée : « Un coup de rhum, matelote ? »
Un jour, désireuse de montrer cette œuvre à mes enfants, je prends le livre d’or dans la bibliothèque (placée dans un couloir, à côté des toilettes) et je le feuillette. Tiens ? Où est passé « mon » pirate ? La page a été proprement coupée... Papa se serait-il enfin décidé à l’encadrer ?
Je lui pose la question ; il me répond par la négative, et ne peut que constater, comme moi, le désastre.
La première surprise passée, nous reconstituons l’affaire. Tous ses « fans » connaissaient l’existence de ce dessin qu’il se plaisait à exhiber, et qui suscitait forcément des convoitises. Or, rien de plus simple, en se rendant au WC, que d’embarquer le livre d’or au passage, de prélever discrètement la page et de le remettre à sa place en sortant...
Cet abus de confiance — assez crapuleux, il faut bien l’avouer — a assombri les dernières années de mon vieux flibustier de père.
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Commentaires
1Benoît BarvinLundi 15 Octobre 2012 à 08:50Répondre4GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:415GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:416GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:41
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