• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 216

     

    manege2 La très jeune éditrice

              Il y a une vingtaine d’années, j’avais écrit pour Hachette un court roman intitulé « Le manège de l’oubli », destiné aux lecteurs de neuf ans et plus. La très jeune éditrice en charge de la collection à laquelle je le destinais, le lit, me dit : « J’adore ! » et me rend mon manuscrit férocement annoté. En gros, un mot sur deux était à modifier. Je proteste ; peine perdue. La très jeune éditrice me démontre par A+B que j’ai tort et qu’elle a raison. Elle connaît son métier, quand même !

             Bref, force m’est, la rage au cœur, de défigurer un texte que j’estimais abouti. Sale boulot, je vous assure ! Quinze jours plus tard, ayant (très mal) vécu les affres de l’auto-mutilation, je lui rapporte la version « corrigée ».

             — C’est bizarre, mais maintenant je ne l’aime plus, s’étonne-t-elle, après l’avoir relue.

             Je lui suggère de prendre la version d’origine, ce qu’elle refuse avec indignation avant de conclure :

             — Désolée, j’en ai discuté avec mes collègues : nous ne pouvons pas publier ce livre.

              En réfrénant une violente envie de l’étrangler, je flanque le manuscrit traficoté à la poubelle et, dans la foulée, j’envoie l’autre, le vrai, aux éditions Nathan. Il sortira dans la collection « Pleine Lune », admirablement illustré par François Roca, et obtiendra de nombreux prix. Dix ans plus tard, il sera repris par les éditions Lito, toujours sans la moindre modification.

             J’ai revu l’éditrice l’année dernière, dans un salon du livre. Elle avait vieilli et s’était recyclée dans l’immobilier.

     

     

      

    « Salon du livre de GaillacZOÉ BORBORYGME »

  • Commentaires

    1
    Vendredi 5 Octobre 2012 à 12:38
    Castor tillon
    Alors, si je comprends bien, elle adore ton livre, donc te le fait transformer en profondeur (logique), pour s'apercevoir qu'il ne lui plaît plus (on se demande pourquoi, hu hu). Mais elle est pas finie, ton éditrice. Il a dû y avoir le feu dans son berceau, étant bébé, et les pompiers l'ont éteint à coups de pelle.
    2
    Vendredi 5 Octobre 2012 à 13:33
    Benoît barvin
    Ahaha... L'immobilier! Si elle est aussi "professionnelle" que dans l'édition... Moi, jai beaucoup aimé "Le manège de l'oubli". Ca m'a fait penser à "Carnival of soul", un joli petit film des années 60 qui s'intéresse à la vie après la mort, via une ambiance très "manège". Semblerait que Tarantino ait été influencé par ce film... (ce qui ne veut rien dire, j'en suis conscient, mais ça assied, un instant, le contradicteur... Ah bon? Si Tarantino l'aime, hein?)
    3
    Vendredi 5 Octobre 2012 à 17:01
    Martine27
    Je ne suis pas sûre que j'oserais acheter une des maisons qu'elle propose !
    4
    LittleBlueBee
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    LittleBlueBee
    En tant que fervente lectrice, j'ai l'impression d'avoir déjà lue ce "moment de solitude" dans ce blog... Je me trompe ? il me semble qu'il a déjà été écrit plus tot mais rédigé differement et sans illustrations ? en tout cas ça me fait toujours aussi rire quand à la justice en ce bas monde ;)
    5
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Gudule
    @ LittleBlueBee : exact ! Là, je dois dire que j'admire votre sagacité ! J'ai donné cette histoire en exemple dans un article écrit sur le sujet dans le bulletin de la Charte, que j'ai repris par la suite sur mon blog. L'anecdote d'après-demain vous sera également familière pour les mêmes raisons.
    @ Benoît : je pense qu'il en faut plus qu'une référence cinématographique pour convaincre une éditrice qu'elle se trompe. Que de fois, voyant des romans qu'elles avaient refusés faire de gros succès chez d'autres éditeurs, j'ai entendu certaines de ces dames s'exclamer : "Oh, celui-là, je l'ai refusé : il ne valait rien". Ça a été le cas d'Harry Potter, entre autres. Et de la série "Chair de poule", véritable phénomène éditorial des années 80, refusé partout avec dégoût, et qui a fait un triomphe chez Bayard.
    @ Castor : Je pense qu'en le modifiant, elle en avait fait de la soupe. L'équilibre d'un texte est une chose aussi subtile que les traits d'un visage. Ses modifications l'avaient rendu insipide, comme une opération chirurgicale peut transformer un visage émouvant en un masque inexpressif.
    6
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Gudule
    Bah, tant qu'elle ne les remanie pas, comme elle le faisait de mes textes...
    7
    logarithme
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    logarithme
    aaah il n'y a rien de plus savoureux que de voir la vie nous venger!
    8
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Gudule
    Cent pour cent d'accord. Dans ces cas-là, c'est merci la vie !
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    9
    Figg l
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    J'adore, cela m'a bien fait rire de lire la dernière phrase !
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