• grands moments de solitude 214 (TOME 2)

                                      Salon de Beyrouth 

     

             

    1995. Nous étions quelque chose comme une demi-douzaine ; la petite délégation culturelle française. En tête de l’expédition, le professeur Jacquard, homme de tous les dangers, toujours présent lorsque la dignité humaine était bafouée. Amélie Nothomb, égérie de la francophonie était là également, ainsi qu’Yves Simon, Michel Omfray et André Cardinali, le gendre de Jacques Prévert,  venu présenter l’expo itinérante de feu son beau-père.

     

             A peine avalé l’apéro de bienvenue, chacun d’entre nous gagne sa chambre d’hôtel pour un p’tit brin de fraîcheur. C’est là que dix minutes plus tard, quelqu’un frappe à ma porte.

             — Oh Jacques !

             Mon frère aîné, qui vit toujours dans la capitale libanaise, a suivi de près les opérations ; sa voiture nous attend en bas pour une mini-balade dans mon ancien quartier (l’Achrafieh  d’après-guerre dont la plupart des magnifiques immeubles coloniaux sont en ruine).

             Nous voilà partis en catimini à travers la ville encombrée de milices, de guérites et de camions militaires débordant de soldats en armes. Bref, après un détour par la famille et les amis, mon frère me ramène à l’hôtel où la voix d’Yves Simon m’accueille d’un âcre :

             — Ah enfin, Gudule, te voilà ! Où étais-tu passée ? On n’attendait que toi pour aller manger !

             —Nous avons craint que tu te sois fait enlever, ajoute le professeur Jacquard.

             Tout en rejoignant mes petits camarades, j’explique la situation :  à savoir que je vais lâchement les abandonner, ma belle-sœur ayant préparé des wara-hanab* en mon honneur. Or, la cuisine de ma belle-sœur est est, à n’en pas douter, la meilleure du monde, et ça, à mes yeux, nom d’un chien, c’est sacré !

             Le lendemain matin, au petit-déjeuner que je prends en tête à tête avec Albert Jacquard, ce dernier m’apprend qu’à treize heures, nous sommes attendus à l’ambassade de France pour un mezzé couleur locale que que je n’ai pas intérêt à louper sous peinte d’incident diplomatique ;

             Et tiens, à ce propos, nous y avons eu droit, à l’incident diplomatique, mais cette fois, ce n’était pas mon fait, c'était celui de l’ambassadeur qui avait mal appris sa leçon.

             Durant le petit speech  d’ouverture des festivités, il déclara :

             — Mon équipe et moi-même remercions chaleureusement l’auteure québécoise Amélie Nothomb qui nous honore de sa présence.

    En écho à cette confusion géographique, une sorte de sirène s’élève dans le silence : Le rire suraigu d’Amélie Nothomb qui s’empresse de rappeler que la Belgique est partenaire privilégiée de l’événement culturel qui nous réunit tous ici.

             Quant à notre hôte, il n’est pas au bout de ses pataquès ;

           — Et n’oublions pas la remarquable exposition du conteur pour enfants Jacques Prévert, conclut-il avec aplomb.

             Là, c’est André Cardinali qui réagit au quart de tour :

             — Conteur pour enfants ? s’indigne-t-il haut et fort.Vous parlez d’un écrivain du patrimoine, monsieur ! L’une des plus grandes gloires des lettres françaises !

     

                                       * Wara-hanab : feuilles de vigne farcies

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 8 Décembre 2014 à 03:03

    Encore un ambassadeur qui finira ministre de la culture, avec une imagination pareille. Pff.

    2
    Lundi 8 Décembre 2014 à 09:35

    ça "finit", un ambassadeur, ou ça touche une retraite en or jusqu'à 107 ans ?

    3
    Lundi 8 Décembre 2014 à 11:25
    Tororo

    Le pire a été évité: le rire d'Amélie lui a épargné de conclure, comme il l'avait initialement prévu, par "Vive le Québec libre!"

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    4
    Samedi 27 Juin 2015 à 08:54

    Hé, hé, comme quoi, les soirées de l'ambassadeur ne sont pas toujours un succès : s'il n'a pas de p... de chocolats à se mettre dans la bouche, il l'ouvre pour dire des bêtises !

    5
    Mardi 14 Juillet 2015 à 18:37

    A mon avis, il se mettait autre chose que du chocolat, dans la bouche, ou alors il était à la liqueur.

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