• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 212 (TOME 2)

                                                                       Nostalgie

             Nous nous étions connues en quatrième, quand j’avais changé d’établissement scolaire. Je me sentais perdue parmi ces nouvelles têtes, au point de chercher des yeux un visage amical, qui, spontanément, me distillât un peu de réconfort. Aussi, lorsque Clara se tourna vers moi au beau milieu du cours d’Histoire et me sourit, sentis-je mon cœur fondre de reconnaissance ; l’amitié qui venait de naître devait durer des années. À l’âge adulte, séparées par quelque trois mille kilomètres, nous nous écrivions chaque semaine. Clara vint me rendre visite au Liban, et mes enfants portèrent longtemps le poncho bleu à capuche qu’elle avait crocheté pour la circonstance.

    De retour en France, nous nous revîmes régulièrement, mais, à mon grand désappointement, la douce Clara avait changé : aigrie par deux divorces et trois accouchements, elle s’était embourgeoisée à la manière des nouveaux riches : sans allégresse, ni euphorie. Pour lui extirper un éclat de rire, il fallait y aller aux forceps, et rien n’était plus triste que ces lèvres autrefois radieuses ayant égaré le mode d’emploi du sourire.

             Ce fut un courrier du collège Saint Jean d’Uccle  qui nous remit en contact deux ou trois ans plus tard.

            

                      Madame, m’écrivait la directrice de cet honorable établissement.

               L’une de nos élèves de sixième,  la jeune Yseult Mosse, m’apprend que vous connaissez sa mère de longue date. C’est elle qui m’a conseillé de vous contacter, car, cette année, votre livre « La vie à reculons » est au programme de sa classe, et ce serait un grand honneur pour nous de vous y accueillir, afin que vous répondiez aux questions de nos élèves. Mme Mosse, se propose de vous loger à cette occasion, et nous souhaiterions vous inviter toutes deux au restaurant, ainsi que le personnel enseignant concerné par le projet.

             Sur ces entrefaites, une voiture se gara devant le collège,  et une grosse dame blonde portant manteau et toque de vison s’en extirpa — ce qui, bien entendu me fait frémir d’horreur.

             —Mais… mais…. Clara !? Que t’est-il arrivé ? m’exclamé-je

    Surprise par ma question, la conductrice se raidit

    — Ben… j’ai un peu grossi, si c’est ça qui te dérange, aboya-t-elle.

    — Non, je parlais plutôt de la fourrure ; tu étais contre, dans le temps ; on collait même des affiches appelant au boycott !

             Mon ex-condisciple me fusilla des yeux.

             — Oui, mais à l’époque, je n’avais pas un rond. Ce genre de militantisme débile, c’est pour les étudiantes fauchées.

    — Et aujourd’hui, tu ne l’es plus ?

             —Quoi ?

    —Fauchée ?

    —Non, je viens de divorcer d’un grand chirurgien qui m’a tout laissé :le pavillon, la bagnole, le compte en banque et les gosses. 

             Ah ?

    Tandis que sa mère cherchait une place sur le parking de la résidence,  Yseult courut se changer. Au bout d’un quart d’heure, elle revint en jean et camionneur lavande, ce qui fit bondir Clara.

    — Enlève-moi ça tout de suite, tu es tellement vulgaire !

             Je ne pus m’empêcher d’intervenir.

             — Vulgaire ? ! c’est toi qui oses dire ça ? t’as vu comment tu es sapée, franchement ? Et ces breloques dorées qui pendent à tes oreilles et à ton cou ? C’est de bon goût, ça, peut-être ?

             Eh bien, vous me croirez si vous voulez, mais ma réflexion ne lui a pas plu ; et quand j’ai ajouté : «  En camionneur ou non, ta fille est ravissante : on dirait toi quand tu étais jeune  », elle m’a priée d’aller me faire voir.

             Force m’est de reconnaître qu’elle avait bien raison. De quoi je me mêlais, sans blague ?

             Depuis, nous sommes copines, Yseult et moi ; et avec sa mère, on ne se parle plus ; Décidément, les vieilles amitiés ne résistent pas à un brin de nostalgie !  

     

     

                     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 3 Décembre 2014 à 22:46

    Mince alors, ta Clara a fait un virage à 180°. Comment peut-on changer aussi radicalement d'éthique ?

    Elle avait des valises Vui-thon sous les yeux quand tu l'as revue ?

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    2
    Jeudi 4 Décembre 2014 à 09:12

    nan, castor, elle avait lu le recueil du comité colbert !

    3
    Nadege
    Mercredi 7 Janvier 2015 à 18:06
    Et bien moi je trouve que vous aviez raison.J'ai déjà rencontré des personnes de ce genre et j'ai toujours eu envie de les gifler. Un jour, rue Daguerre, ma mère et moi passions près d'une boulangerie quand deux SDF nous interpellent et nous demandent si nous pouvons leur acheter du pain. Pas de problème, on achète deux baguettes et en prime, deux sandwiches énormes et pas très chers, on leur donne le tout et la, une vieille rombière (votre ancienne amie la toque en moins) nous sort tout sourire«oh c'est bien ce que vous avez fait». Ma mère et moi nous sommes regardées,on a eu la même pensée «si c'est bien, pourquoi tu ne l'as pas fait connasse?» envie de meurtre en prime.
    4
    Samedi 10 Janvier 2015 à 13:07

    @ Nadège : apparemment, cette personne n'avait rien compris !

    grosse bise

     

    gudule

    5
    Samedi 27 Juin 2015 à 08:46

    Ben, d'un coté, elle est presque à plaindre cette Chantal : il faut vraiment ne pas s'aimer pour se renier à ce point !

     

    M'enfin, c'est triste de voir comment les gens peuvent (mal !) changer parfois :(

    6
    Mardi 14 Juillet 2015 à 20:24

    Le fric, Pata, le fric ! Les gens ne savent pas rester simples, dès lors qu'il leur arrive un peu de pognon.

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