• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 205


    Vertigo

           La peur, la vraie, celle qui vous dézingue les neurones, je l’ai connue en Equateur.

          Nous avions pris le bus qui relie Quito à Banôs, petite ville thermale de la Cordilière des Andes. Un voyage d’une demi-journée, dans un véhicule cahottant et bondé, si typique que j’en avais le cœur chaviré (ainsi, d’ailleurs, que l’estomac)...

           Les premiers kilomètres se déroulèrent sans encombre. Certes, nous roulions sur une minuscule route en lacets, taillée dans la paroi rocheuse. À droite, le flanc escarpé de la montagne, à gauche, le précipice, et entre les deux, à peine la place de croiser une voiture. Mais les autres passagers ne semblait guère inquiets ; pourquoi l’aurais-je été ?

           Au bout de quelques heures, nous atteignîmes les crêtes.

           — Regarde, me dit Sylvain, en désignant le ravin en contrebas. C’est le rio Pastazza.

         J’ouvris les yeux (que j’avais quand même fermés, par précaution) et pus voir, dans le gouffre vertigineux qui nous environnait, tournoyer les condors. Une centaines de mètres plus bas, au creux de la vallée, serpentait un mince filet d’eau. Je sentis mes orteils se hérisser d’épingles.

    Au même moment, le bus s’engagea sur un pont de bois sans parapet, ayant, à peu de chose près, la dimension de ses roues.

           — Il n’y a jamais d’accident ? soufflai-je, tétanisée.

           — Les conducteurs ont l’habitude, répondit Sylvain sans sourcillier.

          — Mais pas les touristes, intervint une Indienne qui suivait notre conversation. Le mois dernier, un car d’Allemands a fait le grand plongeon. Aucun rescapé.

          Le bus, à présent, avançait au pas d'homme car, outre son étroitesse, le pont était défoncé. Les pneus ripaient dans le vide. Les cris des voyageurs penchés aux fenêtres, qui commentaient bruyamment la manœuvre, ne couvraient pas le craquements des rondins, mis à mal par le poids du véhicule en nette surcharge...

           Il paraît qu'au moment de mourir, on voit défiler sa vie en une fraction de seconde. Eh bien, c’est vrai. Il paraît aussi qu’on pisse dans son froc ; je confirme. Et je confirme autre chose : les conducteurs équatoriens sont des as du volant. J’en suis la preuve vivante.

          Cet événement m’a tellement marquée qu’il s’est retrouvé dans trois de mes livres. Deux romans : « Un amour aveuglant » et « Au Gringo’s bar », ainsi qu’une nouvelle, « Brève rencontre », parue dans mon recueil « Un bout de chemin ensemble ». Ces damnés écrivains font vraiment feu de tout bois !

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 13 Septembre 2012 à 08:24
    Benoît Barvin
    Alors, Chère Soeur, si vous voulez "nourrir" vos livres d'autres as du volant, faites un petit tour en Inde, je vous le conseille. La première - et seule - fois où j'y suis allé (de Madras à Pondichéry, distante de quelques centaines de kilomètres) j'ai compris qu'il y a un Dieu de la route et que, bien qu'il soit invisible, il nous protège, et sacrément, de la folie des chauffeurs indiens. On roule à gauche, dans ce vaste pays, et au milieu aussi, et un peu à droite, et on se croise à toute allure, et on crie, et on freine brutalement, on rigole bien fort, on passe - très très vite - près de cadavres de bus calcinés, on met la musique à fond dans l'habitacle, on vous sourit de toutes ses dents qui, à cet instant, vous rappellent celles de nos amis les vampires, et on vous fait faire des tours de manège, avec force soubresauts douloureux - les crânes européens adorent cogner contre le toit du bus... Bref, pas besoin de routes en lacets, de ravins et autres épiphénomènes... Là-bas, en Inde, c'est la route elle-même - et les chauffeurs - qui sont le danger... Pour nourrir l'imaginaire d'une auteure, il n'y a pas mieux!
    2
    Jeudi 13 Septembre 2012 à 09:20
    Tororo
    Ah ben c'est gagné, on est tous verts à l'idée qu'on aurait pu perdre Gudule! (un vert rétrospectif, mais quand même). Nous on croyait que ces histoires de ponts en rondins qui bougent c'était des inventions de romanciers (ou de scénaristes): maintenant on va faire des cauchemars!
    3
    Jeudi 13 Septembre 2012 à 13:45
    Castor tillon
    Le genre de truc qui m'impressionne à mort. Le vide. Avec la vacuité de mon cerveau, je devrais pourtant avoir l'habitude. J'ai pris l'avion 14 fois (je les ai comptées), et ça me terrifie toujours autant. Par contre ça ne me fait pas peur de rouler à moto à 160 sur des petites routes de campagne défoncées. Va comprendre.
    L'homme est un drôle de bestiau.

    La femme aussi, c'est une drôle de bestiole.

    Euh... la dernière phrase était de trop, non ?
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    4
    Jeudi 13 Septembre 2012 à 19:42
    Castor tillon
    A moto, il suffit d'un ragondin qui traverse la route pour prendre un billet de parterre. En avion, c'est plus rare, mais s'il tombe en panne (surtout les monoréacteurs), on ne peut pas simplement se garer au bord d'un nuage et attendre la dépanneuse. Bon, on finit toujours par atterrir... d'une manière ou d'une autre.
    J'ai regardé quelques docus-récits de voyage, notamment au Pérou, par exemple, ça se présente comme ton aventure : faut avoir le coeur bien accroché, contrairement aux structures routières et ferroviaires.
    5
    Jeudi 13 Septembre 2012 à 20:30
    Castor tillon
    Vive Puycelsi.
    6
    Nadege
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Nadege
    Pas besoin d'aller aussi loin que l'Inde. En Crète, ça n'est pas triste non plus, imaginer une route étroite et en lacets à flanc de colline surplombant la mer et une voiture qui s'y engage à toute vitesse à contresens. Le chauffeur de mon car a tout juste eu le temps de freiner à sec. Je n'ai pas fait pipi dans ma culotte mais je n'en étais pas loin.
    7
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Gudule
    AAAAAH, ça fait du bien de savoir qu'on n'est pas seule à avoir éprouvé cette trouille verte ! Après ça, on s'étonnera que je ne veuille plus quitter Puycelsi, où les rares voitures font du dix à l'heure...
    8
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Gudule
    @ Tororo : tu trouves toujours les mots qui font plaisir !
    9
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Gudule
    Bof, moi - la bestiole, donc - j'ai jamais eu peur en avion (je peux même presque dire que j'aime assez ça) mais je trouille à mort en moto. On ne doit pas avoir la même notion du vide... et des obstacles qui le peuplent !
    10
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Gudule
    Vive Puycelsi, quoi.
    11
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:42
    Gudule
    Tu vois qu'on finit toujours par tomber d'accord !
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