• GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 2

    LA NOIX DE LA DISCORDE

     J'ai fait mes classes primaires dans une école catholique très sélect. (Bien que fille de modestes commerçants, j'ai TOUJOURS été dans des écoles catholiques très sélect : nos études, à mes frères et moi, c'était le snobisme de nos parents). Dans cette école catholique très sélect, donc, les élèves avaient, à dix heures, des avantages que moi, je n'avais pas, et en particulier du lait en petites bouteilles qui me faisait saliver d'envie. Ce lait était vendu la peau des fesses par les sœurs, et si mes parents ne rechignaient pas à payer le minerval, ils me refusaient, en revanche, les "à côtés" — que, d'ailleurs, consciente très tôt des sacrifices qu'ils s'imposaient pour mon éducation, je ne songeais même pas à leur demander.

             En plus du lait, à la saison des noix, il y avait... les noix. Celles-ci n'étaient pas distribuées par les sœurs, mais apportées par les élèves elle-mêmes. Or, j'adorais les noix. Mais comme elles coûtaient cher, maman n'en achetait pas — ou seulement dans les grandes occasions, genre Saint Nicolas. Pas question que j'en mange à la récréation.

             Je regardais avec convoitise mes copines casser la coquille du talon, sortir le petit fruit marron, retirer sa fine peau et enfourner avec délice le produit de ce travail minutieux : la chair blanche et craquante, au goût succulent. Pas une, bien sûr, ne songeait à m'en offrir...

             Un jour d’automne, je vais aux toilettes, et dans le WC, qu'est-ce que je vois flotter ? Une noix.

             Comme tous les enfants, j'étais profondément dégoûtée par tout ce qui touchait aux excréments. Mais, premièrement, l’eau de la cuvette était limpide, et deuxièmement, j'avais beau n'avoir que six ou sept ans, je savais que la coquille des noix est hermétique et ne laisse rien passer de "sale". Et puis, surtout, ce fruit exquis, là, à portée de main...

             Je n'ai pas hésité très longtemps. J'ai plongé les doigts dans le WC, j'ai pris la noix, puis, l’ayant rincée au robinet et  soigneusement essuyée, j'ai surgi dans la cour en brandissant mon trophée.

             — D'où elle vient, cette noix ? m'a demandé une copine, méfiante.

             Et moi, avec toute la conviction dont j'étais capable :

             — C'est ma mère qui me l'a donnée !

             — Même pas vrai, a crié une petite fille blonde, Maryse, qui me détestait cordialement. Elle l'a ramassée dans les toilettes ! C'est celle que j'avais fait tomber dans le pipi !

             Je ne me souviens pas si j'ai mangé la noix ou non, mais ce dont je me rappelle clairement, ce sont les chuchotis horrifié de toute la classe, et les huées qui ont suivi. J'en frissonne encore !

              

              

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  • Commentaires

    1
    Mardi 20 Décembre 2011 à 15:33
    Castor tillon
    Le plus horrible, dans ces escarmouches de cours de récré, c'est que les potes vous lâchent, peu soucieuses d'être les copines de celle-qui-mange-les-noix-au-pipi. Après, il faut un moment pour refidéliser les amies.
    2
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:51
    Gudule
    Et attends, là, nous sommes encore dans le politiquement correct, mais tu vas voir l'histoire de demain !
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    3
    Gudule
    Vendredi 29 Août 2014 à 13:51
    Gudule
    Et attends, là, nous sommes encore dans le politiquement correct, mais tu vas voir l'histoire de demain !
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