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GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE 197
Rascale
J’ai un certain don pour me faire avoir, et même un don certain. Ça devait être en 1986-87, par là. Un vendredi soir, une copine (nommons-la Rascale, ça lui va comme un gant), qui avait créé une revue publicitaire où elle employait des rédacteurs au noir, vient me trouver, affolée.
— Faut que je paie mes gars et je n’ai plus de liquide. Tu pourrais me dépanner de cinq mille francs jusqu’à lundi ?
Cinq mille francs ?! À l’époque, pour moi, c’est une petite fortune !
— J’ai pas assez sur mon compte, réponds-je, à tout hasard.
— Sois sympa, insiste-t-elle, je suis dans la merde jusqu’au cou. Ces cons m’ont posé un ultimatum : ou je leur file leur pognon, ou ils stoppent le numéro en cours. Tu imagines la tête des annonceurs ? Il ne me restera plus qu’à mettre la clé sous le paillasson.
Elle est si pathétique que, bon an mal an, je retire la somme au distributeur.
Le week-end passe. Puis la semaine. Pas de nouvelles de Rascale. Au bout de quinze jours, je l’appelle.
— Et mon fric ?
— Désolée, répond-elle, ma comptable est formelle : on ne peut pas sortir d’argent sans facture.
— Comment comptes-tu me rembourser, alors ?
— Apporte-nous tout ce que tu peux récupérer comme tickets de caisse : restaurants, matériel informatique, fournitures de bureau, documentation... Au besoin, demandes-en à tes potes. On les passera en notes de frais jusqu’à concurrence de ce qu’on te doit.
Me voilà bien embarrassée : des tickets de caisse en rab, j’en ai pas la queue d’un. Mon entourage non plus. Va falloir que j’achète un tas de trucs... Oui, mais quoi ? D’indispensable, je veux dire. Qui justifie de claquer à nouveau cinq mille francs.
C’est alors qu’une idée rigolote germe dans ma cervelle. Et si je m’offrais une journée de folie ? Une journée comme je n’en ai jamais vécue ? Allez, au diable l’avarice : je casse mon Codevi et renouvelle ma garde-robe – moi qui, depuis toujours, m’habille aux Emmaüs. Puis j’emmène ma fille chez le coiffeur, la renipe, et tant qu’à faire, Sylvain aussi.
C’est dingue ce que ça file vite, les sous, lorsqu’on se lâche. Mais bon, j’ai mes tickets.
Quand je les apporte à Rascale, elle fronce le nez.
— Des fringues, des pompes, le coiffeur... Tu te moques de moi ?
— Pourquoi ?
— J’avais dit des achats plausibles. En cas de contrôle fiscal, qu’est-ce que je donne comme explication, tu peux me le dire ? Que je me suis renipée aux frais de la princesse ? Ils vont me rire au nez, les mecs. Et je serai bonne pour un redressement mahousse !
Bref, cette affaire m’a coûté toutes mes économies. En revanche, j’ai jamais été aussi bien sapée de toute ma vie.
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Commentaires
1TororoMardi 28 Août 2012 à 16:31Répondre
Je vais aller chercher mon big pot de Nutella, tiens, ça va me calmer.4NadegeVendredi 29 Août 2014 à 13:435GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:436GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:437GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:438GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:439GuduleVendredi 29 Août 2014 à 13:43
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